"Je suis fière lorsque je peux aider une personne à atteindre ses objectifs"
Marie-Pierre Doumont, 45 ans, est assistante sociale au CPAS de Charleroi. Elle accompagne les jeunes de moins de 25 ans dans leur projet d’intégration sociale. Vingt ans après ses premiers entretiens, elle revient sur les événements marquants de sa carrière et nous partage sa vision du métier.
C’est dans un petit local de l’antenne sociale du CPAS que nous rejoignons Marie-Pierre Doumont. Derrière une séparation en plexiglas, la cordialité de l’assistante sociale tranche avec la froideur des lieux. Au milieu des murs immaculés, la travailleuse sociale nous confie des fragments de son passé. Marie-Pierre Doumont parle vrai. Sans détours ni embellie pour son métier.
"Avec l’expérience j’ai appris que refuser de l’aide constitue une forme d’aide"
Le Guide Social : Pourquoi avez-vous décidé de vous former au métier d’assistant social ?
Marie-Pierre Doumont : Au départ, je voulais être logopède. Mais comme j’avais un problème pour prononcer les « s », je n’ai pas pu poursuivre mon cursus. J’ai alors assez naturellement entrepris un graduat d’assistant social à l’IPSMA, à Marcinelle. C’était un choix naturel car j’ai toujours voulu aider les gens, j’ai beaucoup d’empathie. C’est la manière d’ailleurs dont mes proches me perçoivent et me décrivent.
Le Guide Social : Comment s’est déroulée votre première expérience sur le terrain ?
Marie-Pierre Doumont : J’ai réalisé mon premier stage dans un planning familial. Je me souviens que j’avais été surprise par le nombre de jeunes femmes qui s’y présentaient. En 2e et 3e année, j’ai effectué mes stages au sein de l’asbl Le Figuier, à Marcinelle. Au milieu des années 90, il s’agissait d’un centre d’accueil pour les réfugiés. Les missions de l’association se sont ensuite élargies. J’ai adoré travailler avec les réfugiés mais lorsque le centre est devenu un centre d’accueil pour tous j’ai pris conscience du nombre de personnes en Belgique qui étaient également en grande détresse.
Le Guide Social : Votre Travail de Fin d’Etudes était-il en lien avec l’accueil et l’accompagnement des personnes réfugiées ?
Marie-Pierre Doumont : Je me suis inspirée de mon expérience de stage pour définir la thématique de mon TFE. Il portait sur toute la question du refus dans l’aide à la personne : comment savoir dire non aux personnes en état de besoin ? C’était un gros problème pour moi de ne pas octroyer l’aide sollicitée. Il fallait pouvoir dire non quand les personnes n’étaient pas dans les conditions et ça m’était difficile. Avec l’expérience j’ai appris que refuser de l’aide constitue une forme d’aide.
"On s’engage à orienter le jeune, à lui apporter l’aide financière nécessaire et lui s’engage à mener son projet professionnel ou d’intégration sociale"
Le Guide Social : Est-ce que votre formation a répondu à vos attentes et vous a aidée dans l’exercice de votre métier ?
Marie-Pierre Doumont : J’estime avoir reçu un bon bagage pour débuter ma vie professionnelle. Les professeurs étaient très à l’écoute et il y avait beaucoup de supervisions. L’encadrement en stage était rassurant. Je me souviens d’un incident que j’avais vécu au Figuier et de la réaction de ma maitre de stage. Un homme m’avait giflé suite à une altercation avec sa copine. J’ai su me contenir devant lui et j’ai été ensuite pleurer dans mon bureau. J’ai appelé ma maitre de stage qui a été hyper soutenante.
Le Guide Social : Après vos études, quel a été votre premier emploi en tant qu’assistante sociale ?
Marie-Pierre Doumont : J’ai été diplômée en 1997 et j’ai directement été engagée pour un contrat de remplacement de 3 mois là où j’avais fait mon stage. Ensuite, j’ai travaillé dans deux plannings familiaux à Bruxelles. J’ai suivi une formation pour l’accompagnement à l’IVG. J’assistais la patiente et le gynécologue lors de l’interruption de grossesse. J’y suis restée pendant un an. J’ai ensuite postulé spontanément au CPAS à Morlanwelz et j’y ai travaillé durant 17 ans. Après ces longues années, j’ai eu envie de relever de nouveaux challenges et comme la diversité des possibilités qu’offrait un CPAS de la taille de celui de Charleroi m’attirait, j’ai postulé. J’ai été engagée il y a 3 ans, à la cellule des moins de 25 ans, à l’antenne de Charleroi.
Le Guide Social : Quelles sont vos missions quotidiennes au sein du CPAS ?
Marie-Pierre Doumont : Nous accompagnons des jeunes de moins de 25 ans qui sont soit en rupture familiale, soit issus de familles qui n’ont pas les moyens de prendre en charge leurs études. Certains s’adressent aussi au CPAS car ils n’ont pas droit aux allocations de chômage. D’autres encore se présentent car leurs parents sont au CPAS et une fois leur majorité atteinte, la situation financière au sein de la famille est modifiée…
Les jeunes sont pris en charge par l’une des 6 assistantes sociales de notre cellule moins de 25 après avoir été reçus en première ligne par d’autres collègues. Nous travaillons uniquement sur rendez-vous. Lorsque le jeune arrive pour la première fois, nous établissons ensemble un projet individualisé d’intégration sociale (PIIS). Il s’agit d’un contrat signé qui reprend les objectifs et les engagements que le jeune et l’assistante sociale se sont fixés.
En tant que professionnelle, on s’engage à l’orienter, à lui apporter l’aide financière nécessaire et le jeune s’engage à mener son projet professionnel ou d’intégration sociale (suivre une formation, reprendre ses études ou tout simplement maintenir son logement propre). C’est une manière de le responsabiliser.
Nous réalisons une évaluation trimestrielle du PIIS. Ce suivi nous permet de garder un œil sur la scolarité du jeune, de vérifier si sa demande de bourse d’études a bien été introduite, etc…. A côté de ces rendez-vous, nous réalisons les démarches pour les bénéficiaires et rédigeons des rapports. Des visites à domicile sont également réalisées une fois par an minimum….
Le Guide Social : Travaillez-vous en équipe ?
Marie-Pierre Doumont : Au sein de la cellule moins de 25, nous sommes 6 AS. La cellule plus de 25 ans en compte 12 et la première ligne se compose de 4 AS. Si on ajoute la manager et les deux adjointes, nous sommes +/- 25 à l’antenne sociale de Charleroi, hors personnel administratif, service paiement, …
"Je fais ce métier depuis 20 ans, j’arrive à rentrer chez moi en ne ramenant pas le travail à la maison. Mais cela n’a pas toujours été le cas…"
Le Guide Social : Comment faites-vous pour ne pas être impactée moralement par votre travail ?
Marie-Pierre Doumont : L’expérience aide beaucoup à avoir le recul nécessaire. Je fais ce métier depuis 20 ans, j’arrive à rentrer chez moi en ne ramenant pas le travail à la maison. Mais cela n’a pas toujours été le cas…
Au début quand je voyais des enfants en grande détresse, c’était catastrophique. A Morlanwelz, j’ai assisté à l’expulsion d’une famille. Les parents étaient toxicomanes. Les trois enfants ont été embarqués par le SAJ. J’avais envie de les prendre à la maison. Dans ce genre de situation, c’est compliqué de rentrer chez soi comme si de rien n’était. On pense forcément à ce que vont devenir ces enfants…
J’ai vécu une autre situation difficile dans une famille où les 4 enfants étaient placés. Le nouveau-né était resté avec les parents. La maison était dans un sale état. Je ne comprenais pas comment on pouvait laisser un bébé dans un foyer où il y avait eu des cas de maltraitance. Que faire dans ce genre de cas ? Qu’a-t-on comme leviers ? Agir auprès des parents, c’est tout ce qu’on peut faire. Essayer de leur faire prendre conscience que s’ils ne veulent pas que leur bébé soit placé, lui aussi, il faut qu’ils changent.
Le Guide Social : Est-ce le moment de votre carrière qui vous a le plus marqué ?
Marie-Pierre Doumont : Des situations qui m’ont marquée, il y en a eu plusieurs. Quand je travaillais encore à Morlanwelz, j’ai accompagné un jeune qui vivait à la rue avec son chien. Comme les centres d’accueil n’acceptaient pas son chien, il ne voulait pas y aller. Il dormait en rue et dealait pour se faire de l’argent. Il était en grande souffrance car son père l’avait rejeté. Il devait avoir tous les « DYS » possibles non traités lorsqu’il était enfant. Il était très intelligent et en voulait à ses parents de ne pas avoir mis en place l’accompagnement nécessaire pour l’aider à s’insérer.
On a fini par lui proposer un logement de transit, le temps qu’il puisse trouver une solution plus durable. Hélas, il n’a jamais effectué de démarches pour trouver un logement. Il a fallu que je lui annonce que la durée d’occupation du logement de transit touchait à sa fin et qu’il fallait qu’il rende les clés. Je suis allée le voir pour le lui expliquer et il m’a craché au visage. Heureusement j’avais des lunettes… Je suis restée de marbre devant lui mais arrivée dans la voiture, je me suis effondrée. J’avais vraiment été fort présente pour lui, je lui avais amené des courses et même des croquettes pour son chien. Après cet épisode, il est venu me menacer sur le parking en me disant qu’il savait où je vivais et où mes enfants allaient à l’école. Ça ne fait pas longtemps que je n’ai plus peur quand je le croise…
Il y a un autre moment qui a vraiment marqué aussi ma vie professionnelle. Je travaillais au CPAS de Morlanwelz et une des bénéficiaires suivait une formation au sein de l’un des services appartenant au CPAS. Un matin, elle ne s’est pas présentée au bureau. C’était bizarre car son véhicule était toujours stationné au même endroit. Comme son assistante sociale était en vacances, on m’a demandé de me rendre à son domicile. En arrivant, je me suis rendu compte que sa fille de 10 ans était seule depuis la veille. Sa mère n’était pas rentrée. J’ai appelé sur le GSM de la maman et quelqu’un a décroché et raccroché aussitôt. Etrange... Dans les heures qui ont suivi, on a appris qu’elle avait été assassinée. Je n’avais pas encore 30 ans…
"J’aime mon métier car c’est un travail profondément humain, diversifié. Il m’amène à rencontrer des personnes d’origines et de milieux différents"
Le Guide Social : Vous avez vécu des situations éprouvantes… Pourquoi aimez-vous ce métier ?
Marie-Pierre Doumont : J’aime ce métier parce que je me dis que tout est toujours possible. Et même face à une personne en grande détresse, j’ai envie de continuer à croire qu’on peut toujours apporter de l’aide. Même si c’est parfois compliqué et que les objectifs qu’on veut atteindre ne sont pas identiques à ceux du bénéficiaire. J’aime mon métier car c’est un travail profondément humain, diversifié qui m’amène à rencontrer des personnes d’origines et de milieux différents.
Le Guide Social : Quels sont les moments qui vous rendent fière ?
Marie-Pierre Doumont : Je suis fière chaque fois qu’un étudiant réussit à l’école, chaque fois qu’une demande aboutit positivement, que la personne est réellement motivée et collabore. Avec la crise sanitaire, on a pu octroyer différentes aides aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, notamment du matériel informatique aux étudiants et ça m’a rendue heureuse de leur apporter cette aide concrète et de pouvoir améliorer leur cadre de vie...
"Les débouchés sont intéressants car on retrouve des assistants sociaux dans plein de secteurs différents"
Le Guide Social : Quelles sont les qualités que doit avoir un.e assistant.e social.e ?
Marie-Pierre Doumont : Je dirais qu’elle ou il doit avoir des capacités d’écoute, de l’empathie. Il faut faire preuve de disponibilité et disposer de facultés d’adaptation face à la diversité des publics et des situations.
Le Guide Social : Que diriez-vous à une personne qui hésite à se lancer dans des études d’assistant social ?
Marie-Pierre Doumont : Je lui dirais que c’est un métier enrichissant car on peut aborder diverses thématiques. Les débouchés sont intéressants car on retrouve des assistants sociaux dans plein de secteurs différents. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’un assistant social ce n’est pas un éducateur. Une partie du temps de travail est consacrée à l’élaboration et au suivi des dossiers, il y a beaucoup de tâches administratives.
Le Guide Social : Depuis que vous travaillez, quelles sont les principales évolutions du métier d’AS ?
Marie-Pierre Doumont : Nous avons plus de moyens que par le passé pour répondre aux demandes. Le réseau s’est beaucoup développé, ce qui nous permet de nous appuyer sur un plus grand nombre de structures qui se sont, à leur tour, professionnalisées. Au niveau du public que nous accompagnons, j’ai la sensation qu’il y a davantage de jeunes et un plus grand nombre de personnes qui disposent d’un emploi mais qui ne s’en sortent pas et viennent solliciter une aide financière. Tout le monde peut être amené à frapper à la porte d’un CPAS.
Lina Fiandaca
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