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"Le psychologue est dans une co-thérapie avec le patient"

25/08/22 # Psychologue

Psychothérapeute depuis 25 ans, Séverine Piret a créé un programme thérapeutique de jour dans une unité psychiatrique de l’Hôpital Van Gogh. Après de nombreuses spécialisations en cliniques psychanalytiques, en psychotraumatologie, en art-thérapie et en psychothérapie sensorimotrice, cette grande passionnée du cerveau humain fait parler les corps de ses patient.e.s lorsque la parole est impossible.

Le Guide Social : Devenir psychologue, était-ce une vocation pour vous  ?

Séverine Piret : Pas du tout. Je me destinais à devenir prof de gymnastique. J’étais en sciences-math’ en humanité. Et puis un jour, je suis allée dans un salon d’orientation à destination des étudiants. C’était au mois de mai, je m’en souviens très bien. Je me suis présentée à un stand de l’ULB consacré à la licence en gymnastique et j’ai entendu des étudiants parler entre eux. Et là, je me suis directement dit que ce n’était pas fait pour moi… Avec le copain qui m’accompagnait, nous avons décidé d’aller voir le stand que tenait sa maman. J’ai entendu cette dame parler de la psychologie du langage avec une telle passion que j’ai eu un déclic. C’est le métier que je voulais exercer, moi aussi. Il m’a fallu néanmoins attendre la fin de ma deuxième année d’études et mon premier cours de psychologie clinique pour avoir une révélation.

Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous passionne dans la psychologie  ?

Séverine Piret : Je suis passionnée par le cerveau humain. J’ai toujours été fascinée par les maladies mentales  : pourquoi certains patients ont des réactions parfois démesurées ou complètement tordues ? Je ne comprenais pas quand j’étais jeune et ça me questionnait énormément. Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir décoder ces «  fonctionnements singuliers  ».

"En hospitalier, les gens sont tellement mal qu’il faut leur apporter de l’espoir, ils pensent qu’ils ne vont jamais s’en sortir"

Le Guide Social : Et par quels courants obtenez-vous des réponses  ?

Séverine Piret : Je travaille en tant que psychologue en milieu hospitalier. Dans ce contexte, ma grille de lecture psychanalytique a besoin d’être ré-adaptée car la mise en processus psychanalytique demande un temps beaucoup trop long dont nous ne disposons pas. Il nous faut trouver des solutions pour ne pas que les patients restent trop longtemps en psychiatrie. En hospitalier, les gens sont tellement mal qu’il faut leur apporter de l’espoir, ils pensent qu’ils ne vont jamais s’en sortir. C’est notamment ce que nous nous efforçons de faire dans l’approche que nous poursuivons à l’Hôpital Van Gogh.

Le Guide Social : Dans quelle unité travaillez-vous et comment se passe la prise en charge des patient.e.s ?

Séverine Piret : Je travaille en tant que psychothérapeute dans une unité de psychiatrie générale de l’Hôpital Vang Gogh qui comporte 34 lits ainsi que 4 lits «  Covid  ». C’est un service fermé qui accueille des hommes et des femmes pour des hospitalisations allant de minimum 3 semaines à plusieurs mois. Je donne quatre consultations par semaine en individuel. Et une fois par semaine, j’accueille des patients en ambulatoire dans le cadre d’un programme thérapeutique de jour que j’ai créé à Van Gogh, il y a quatre ans. Durant quatre mois, j’explore avec les patientes ─il s’agit uniquement de femmes ─ la narration chorégraphique  : les patientes utilisent leur corps pour parler de leur trauma. Ces séances qui utilisent les médias art-thérapeutiques sont consacrées aux externes qui sont stabilisées.

"L’art-thérapie est une méthode qui utilise la créativité. Le patient retourne chercher son enfant intérieur pour se sentir mieux"

Le Guide Social : Comment avez-vous découvert et intégré l’art-thérapie dans vos consultations  ?

Séverine Piret : J’ai découvert l’art-thérapie suite à un accident de ski. J’ai eu les ligaments croisés et le genou abîmés. Mon médecin m’a dit que je ne danserais plus jamais alors que je danse depuis que je suis toute petite. J’ai eu la jambe immobilisée par une attelle rigide et je suis devenue dépendante dans les gestes du quotidien. Cette situation m’a beaucoup questionnée. Je n’avais pas réalisé jusque-là ce que je pouvais exprimer par la danse.

En parallèle au niveau professionnel, je constatais que c’était parfois très difficile pour certains patients de verbaliser leurs émotions, des souvenirs, des blessures, des traumas. Pour traiter des psychotraumatismes, il faut parfois passer par le corps plutôt que par le mental car le corps, lui, il retient tout et n’oublie rien.

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Le Guide Social : Comment fait-on s’exprimer les patients avec l’art-thérapie  ?

Séverine Piret : L’art-thérapie est une méthode qui utilise la créativité. Le patient retourne chercher son enfant intérieur pour se sentir mieux. Et tout comme l’enfant, il a recours à l’imagination. Les séances d’art-thérapie, dans le programme de jour se font en groupe. Elles sont destinées à des personnes qui ont vécu des traumas. Souvent ces patients ne sentent plus leurs émotions et ont un rapport au corps difficile. Je travaille, également, les états du moi à travers différents archétypes, des personnages  : l’enfant, le magicien, le sorcier et le super héros.

Dans les pratiques psychocorporelles, on se sert du corps comme médiation pour raconter quelque chose. On fait beaucoup d’exercices de pleine conscience et de visualisation de lieux sûrs pour sécuriser les patientes là où elles sont. Des exercices d’équilibre de plateau aussi. En regardant les gens marcher, on voit déjà beaucoup de choses.

On fait des exercices à deux  : celle qui a les yeux fermés se laisse guider par la voix de l’autre  : ça permet de travailler la confiance. On fait également des exercices sur les frontières  : les patientes créent leur bulle à partir d’une ficelle. Certaines forment des bulles qui ne se ferment pas. D’autres créent des bulles où il est impossible d’entrer. Par ce type d’exercice, on peut mettre en lumière le type d’attachement dans lequel le sujet se met en lien et mieux observer et comprendre sa relation à l’autre. J’éprouve en quelque sorte la théorie de l’attachement qui est toujours en lien avec la problématique du trauma.

Par le jeu, on recrée de la confiance.

"Je travaille avec les sens et les sensations pour faire émerger des émotions"

Le Guide Social : Vous n’avez cessé de vous former depuis l’obtention de votre diplôme initial…

Séverine Piret : J’ai suivi une licence en psychologie orientation clinique à la Faculté de Mons. J’ai obtenu mon diplôme en 1996. J’ai ensuite fait un post graduat en psychothérapie analytique pour les adultes à l’UCL. Puis j’ai suivi un cursus non certifiant sur Lacan à Mons. J’ai obtenu ensuite un certificat en psychotraumatologie à l’Université de Liège. Je me suis spécialisée en psychothérapie sensorimotrice et en art-thérapie, j’ai notamment suivi les ateliers chorégraphiques d’Amanda Couturier et de performance avec Christophe Vander chez «  Art-T  ». Mon mémoire en 2019 en psychotraumatologie s’intitulait  : «  La psychothérapie de groupe par l’approche psychocorporelle et sensorimotrice est-elle une plus-value dans la prise en charge d’un traumatisme complexe  ?  ».

Le Guide Social : Qu’est-ce que la psychothérapie sensorimotrice  ?

Séverine Piret : La psychothérapie sensorimotrice est une approche thérapeutique qui considère le corps comme une source d’information dans le traitement de problématiques liées aux traumas et à l’attachement. Je propose des séances de psychothérapie sensorimotrice à mon cabinet privé. Je travaille avec les sens et les sensations pour faire émerger des émotions. Cette méthode permet de refaire la boucle qui n’a pas pu être faite au moment du trauma.

"Ce qui a changé, c’est la population psychiatrique. Nous accueillons beaucoup plus de personnes en situation de précarité sociale"

Le Guide Social : Vous avez également mis votre expertise au service du tissu associatif carolo…

Séverine Piret : J’ai participé à une analyse des besoins de la population accueillie au Rebond, le centre de jour pour personne sans-abri de l’ASBL Comme Chez Nous2. Je suis allée dans la salle d’accueil. J’ai pu y observer les mêmes situations que celles que l’on retrouve dans une salle d’urgence psychiatrique avec des patients sans traitement  : des traumas, des addictions, des schizophrènes, des troubles de l’attachement, etc. J’ai fait plusieurs intervisions avec les travailleurs sociaux. C’est important de pouvoir leur expliquer que demander à un psychotique d’enlever ses vêtements pour prendre une douche, c’est comme lui demander d’enlever sa peau. S’il se déchausse, c’est déjà bien. Nous avons fait un bilan avec les travailleurs sociaux. Depuis lors, l’ASBL a engagé un psychologue et est toujours à la recherche d’un psychiatre.

Le Guide Social : Vous pratiquez depuis 25 ans… Votre vision du métier a-t-elle changé depuis vos débuts  ?

Séverine Piret : Ce qui a changé, c’est la population psychiatrique. Nous accueillons beaucoup plus de personnes en situation de précarité sociale. Beaucoup plus de jeunes. Et beaucoup plus de personnes en situation d’isolement social. L’internet et les jeux vidéo n’ont pas aidé… La crise sanitaire liée au Covid a amplifié ces phénomènes dans un contexte anxiogène. Durant cette période de lock-down, beaucoup de personnes se sont retrouvées avec elles-mêmes et face à leurs vieux démons. Lorsque tout a fermé, il n’était plus possible de créer un circuit dérivatif…

"Il faut toujours se poser la question suivante  : qu’est-ce qu’i m’appartient et qu’est-ce qui ne m’appartient pas  ?"

Le Guide Social : Que diriez-vous à des jeunes qui se lancent dans des études de psychologie  ?

Séverine Piret : Je leur dirais qu’il est primordial qu’ils apprennent à se connaitre eux-mêmes. Généralement, quand on a envie de faire des études de psycho, c’est qu’on a envie de soigner. Et comme disait Freud, on ne peut soigner qu’avec sa partie soignée. Pour pouvoir accueillir les émotions des patients, c’est important d’avoir fait un travail sur soi. Dans le cursus en psychothérapie analytique, c’est une obligation de faire une analyse. La mienne a duré 9 ans à raison de deux fois par semaine…

Le Guide Social : On sait combien le métier de psychologue peut être prenant, comment fait-on pour ne pas se laisser envahir par son métier  ?

Séverine Piret : On peut éviter de se laisser envahir en étant bien dans le vivant et en ayant ses activités à soi. Il faut toujours se poser la question suivante  : qu’est-ce qu’i m’appartient et qu’est-ce qui ne m’appartient pas  ?

Le Guide Social : Quelles qualités doit avoir un.e bon.ne psychologue  ?

Séverine Piret : L’humilité  ! Beaucoup de soignants pensent savoir mieux que le patient ce qui se passe dans son corps ou dans sa tête. A mon sens, le psychologue est dans une co-thérapie avec le patient. En tant que professionnels, nous avons des pistes, des grilles de lecture mais nous ne savons pas mieux que la personne qui est en face de nous.

Le Guide Social : Un moment marquant dans votre carrière  ?

Séverine Piret : Mon engagement dans mon premier boulot à l’Oasis m’a beaucoup marqué. C’était un service psychiatrique qui est devenu par la suite l’Hôpital Léonard De Vinci. J’avais réalisé le 3e cycle de mon stage bénévolement et à son terme, on m’a proposé de m’engager comme indépendante, faute de poste disponible en tant que salarié. Ce que j’ai refusé car je trouvais que j’étais trop jeune pour exercer en tant qu’indépendante. Les responsables du service ont fini par réussir à m’engager en temps partiel. C’était une belle récompense. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de liberté et surtout de travailler dans un rapport de confiance mutuelle. J’ai créé une consultation au sein du service car à l’époque ceux qui sortaient du service devaient changer de psychologue. Ce qui me semblait bien dommage pour le patient et sa continuité de soin quand l’accrochage thérapeutique était installé. Quand un service n’existe pas ou qu’une approche atteint ses limites, il faut créer ce qui n’existe pas encore.

Lina Fiandaca

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