Soins palliatifs : "On ne peut pas rater une fin de vie... c’est trop précieux"
C’est au 5ème étage de l’hôpital Molière que se trouve le service des soins palliatifs, nommé le Lotus. Très présente dans la culture bouddhiste, la fleur de lotus suggère une étendue d’eau calme et paisible qui incite à l’apaisement. C’est ce que tente d’apporter, aux patients en fin de vie, l’équipe de Christine Lapage, infirmière en chef du service. A l’occasion d’un entretien, elle nous a partagé son besoin de créer une relation avec l’autre, de prendre soin et de se former pour apporter le meilleur aux bénéficiaires.
Christine Lapage est infirmière en chef de l’unité des soins palliatifs de l’hôpital Molière dont la mission principale est d’apporter les soins médicaux et psychologiques aux personnes en fin de vie. Un service essentiel qui prodigue soins et soutien aux patient.e.s mais aussi à leur entourage. Ici, on est loin de l’animation habituelle des autres services où le personnel doit courir de chambre en chambre. L’unité de soins palliatifs compte six lits pour cinq infirmier.ère.s en journée et une de nuit.
"Accorder du bien-être et du confort au patient, autant dans les aspects physiques que mentaux" sont les objectifs que poursuit Christine Lapage depuis son arrivée dans le service en octobre 2020. Ces deux éléments font partie intégrante de l’accompagnement pour une fin de vie la plus digne possible.
Pour cela, l’équipe d’infirmier.ère.s est soutenue par des professionnel.le.s extérieur.e.s tel.le.s que des psychologues, ergothérapeutes ou kinésithérapeutes : "L’aspect psychologique est pris en charge par notre collègue pour assurer le meilleur suivi possible pour le patient mais aussi pour ses proches. Apporter un appui à l’entourage est une des dimensions de notre prise en charge."
Cette dimension est un domaine d’activité dans lequel s’est vite retrouvé Christine Lapage. Très jeune, elle a été confrontée à des personnes plus âgées qu’elle, lui démontrant l’importance de l’accompagnement, de l’apport d’aide et d’une présence : "Pour certains patients, la solitude s’installe car les personnes perdent leurs proches les années passant."
"J’ai senti très vite que ce métier me collait à la peau"
La carrière de Christine Lapage a commencé, à la fin de ses trois années d’études, par un emploi en psychiatrie en 1990. La confrontation au terrain lors de son premier emploi reste mémorable. Pour la jeune infirmière, elle était à l’opposé de ses attentes : "C’était très marrant. On se disait toujours pendant les études, pourvu que notre première prise en charge soit quelque chose de sympa et de pas trop difficile. On entre dans l’intimité de la personne en tant qu’infirmière et quand on est jeune, ce sont des situations qui sont fortes délicates. Donc j’espérais tomber sur une dame ou une jeune dame. Finalement, quand je suis entrée dans la chambre, il y avait quatre hommes (Rires). Mais bon, je me suis lancée et ça s’est très bien passé."
Malgré l’appréhension de la première prise en charge et de la responsabilité qu’on endosse, Christine Lapage s’est fait confiance, a cru en ses capacités : "J’ai senti très vite que ce métier me collait à la peau et que c’était naturel pour moi."
Après 5 ans dans un service de psychiatrie lourde, l’exercice d’infirmière était devenu trop envahissant : "Je ne réussissais plus à fermer la porte." La coupure entre la sphère professionnelle et privée n’étant plus assez nette, Christine Lapage a voulu changer d’air et s’est dirigée vers le service gériatrique de l’hôpital Brugmann pour évoluer vers un poste d’infirmière cheffe en unité de soins : "J’avais 27 ans et c’était un service de gériatrie de 24 lits. J’étais très fière de moi à ce moment-là."
Poste de cadre intermédiaire, burn-out et nouveau souffle
En parallèle, elle a toujours mis un point d’honneur à suivre diverses formations afin d’être au fait des avancées du secteur. Elle a ainsi obtenu une spécialisation en gériatrie et en algologie (tout ce qui concerne la douleur) et une certification en cadre hospitalier et en direction des maisons de repos. Ce qui a abouti sur un poste de cadre intermédiaire en 2009, poste qu’elle a occupé jusqu’en 2014, année de son burn-out.
Elle se confie : "J’étais fort intéressée par ce nouveau milieu de travail car on touche plus à ce qui relève de la gestion d’une institution hospitalière. J’étais responsable des unités de gériatrie, de revalidation et aussi à un moment donné, de l’unité de soins palliatifs et un ou deux services de chirurgie. C’est un emploi où le côté administratif est beaucoup plus important. Il y a la gestion de projets, des horaires, des absences... J’agissais alors à un autre niveau car j’étais plus proche de la direction et c’était intéressant comme expérience. Elle m’a permis d’acquérir une certaine vision de l’hôpital, mais c’était fort prenant et ce n’était pas toujours facile. Mon corps a dit stop. J’ai fait un burn-out."
Après quelques mois de repos, Christine Lapage est revenue dans le milieu hospitalier mais cette fois sur le terrain, au contact des patient.e.s, dimension qui manquait fortement dans son poste précédent. C’est à l’hôpital Molière qu’elle postule et intègre alors le service de gériatrie puis en octobre 2020, celui des soins palliatifs dans lequel elle exerce toujours aujourd’hui : " C’était un défi que j’avais envie de relever dans ma carrière : avoir la capacité d’accompagner et d’être au chevet de patients dans le cadre de fin de vie. Le côté relationnel ici est très fort, c’est ce qui me plaît en partie car la création de relations a beaucoup de valeur pour moi."
"On a de l’humain entre nos mains"
A la lecture du parcours de Christine Lapage, il parait évident que le métier d’infirmière relève d’une passion : " Je n’ai jamais pensé à me réorienter malgré le burn-out. J’ai plutôt changé d’endroit d’exercice pour obtenir un nouveau souffle. Je ne regrette rien de mon parcours. A chaque fois, c’était une expérience qui m’a nourrie et qui me sert encore aujourd’hui."
Forte de ses 30 ans de carrière, elle a pu observer l’évolution de la profession et vivre les différents moments de crise que traverse la profession, en particulier avec la crise sanitaire qui a entrainé une vraie remise en question du travail infirmier : " C’est un métier qui demande énormément, à tous les points de vue, avec de l’humain entre nos mains. Donc, on a une grande responsabilité pour laquelle il est important d’avoir le soutien de notre hiérarchie, qui a aussi une surcharge de travail épouvantable. Je pense donc qu’il y a une grande souffrance en ce moment dans nos institutions médicales. Beaucoup de personnes se posent la question du sens de leur métier."
Les supervisions, espaces de dialogue pour le personnel
Cependant, elle reconnait avoir de la "chance" au regard des conditions de travail particulières du service des soins palliatifs. On y trouve un vrai soutien de la hiérarchie et des supervisions mensuelles assurées par un psychothérapeute : "C’est un échange que l’on organise avec toute l’équipe. Je pense que c’est très important de laisser de la place à la parole pour éviter que les situations ne s’enveniment."
Ces moments d’échanges abordent les vécus des patient.e.s, la lourdeur de certains soins, une remise en question de son propre vécu avec l’expression de certains malaises ou questionnements : " Ces moments sont vraiment très important car ils nous permettent de prendre du recul et de se rendre compte que l’on n’est pas seul, que l’on a une place pour s’exprimer et se soutenir." Ces moments de décharge permettent également de pas trop emporter le vécu professionnel dans la sphère privée.
Pour Christine Lapage, savoir "fermer la porte" s’est acquis grâce au temps qui passe, au changement de regard sur certaines situations et par la confiance en son équipe : "Nous sommes une équipe qui fonctionne ensemble, où la confiance règne. Quand on quitte le service, on sait que la suite est assurée, que l’on n’a pas à s’en faire."
Soins palliatifs : un travail pas comme les autres
La particularité du service des soins palliatifs par rapport aux autres services de l’hôpital réside dans la cadence des actes infirmiers rythmée par les demandes des patient.e.s. Rien n’est imposé : " Si le patient dort, on le laisse dormir, s’il désire être lavé, être soigné, on lui prodigue les soins. S’il ne veut pas déjeuner, on ne va pas le forcer à manger. Notre attitude ici est totalement différente." Ce qui a demandé un temps d’adaptation pour l’infirmière : "J’avoue que quand je suis arrivée ici, j’ai dû m’habituer au processus de traitement. On fonctionne à deux pour pas mal de choses : les soins d’hygiène, la préparation de médicaments... Cela permet un soutien et d’éviter des erreurs médicales. Le fait de se centrer autour du patient demande une vraie capacité d’adaptation."
Ainsi, les jours et les semaines ne se ressemblent pas : "Certaines semaines vont être plutôt physiques, d’autres plus relationnelles, d’autres avec beaucoup de difficultés émotionnelles." La dimension relationnelle, qui tient tant à cœur à Christine Lapage, s’illustre aussi dans une prise en charge sociale pour certaines personnes qui se retrouvent dans des situations relationnelles ou financières difficiles. Il faut alors savoir être là, en offrant une présence réconfortante.
Une vocation mais attention
Quand on aborde le terme de vocation pour qualifier son parcours, Christine Lapage acquiesce mais nuance : "On entend souvent ce terme et c’est d’ailleurs cela qui fait que notre profession se rebiffe pas mal. Indépendamment de l’amour pour le métier, il nous faut avoir une reconnaissance pour notre travail. Malheureusement, elle a été négligée pendant de longues années et il a fallu une crise supplémentaire pour se rendre compte de l’urgence d’agir pour notre secteur. Donc, vocation oui c’est vrai car cela reste un choix mais c’est un terme qui véhicule beaucoup de clichés concernant notre capacité à dire amen à beaucoup de choses. On est dans une ère où on veut changer cette vision... On adore notre travail mais il nous faut une reconnaissance."
Se former encore et toujours
Le secteur des soins palliatifs fait l’objet de nombreuses recherches avec pour axe principal les protocoles d’amélioration du bien-être des patients. Toujours, avide de nouveautés et d’évolutions, Christine Lapage cherche à mettre en place une formation pour la prise en charge Snoezelen. Il s’agit d’une stimulation multisensorielle contrôlée visant à éveiller la sensorialité dans un espace sécurisant. Elle est déjà reconnue dans la prise en charge des handicaps mentaux lourds : "On éveille les sens avec les odeurs, le toucher, la chaleur mais aussi à travers une luminosité particulière dans la salle de bain, avec de la musique. Cela permet de se détendre, de désangoisser car qu’on le veuille ou non, certaines fins de vie sont difficiles. On doit parfois beaucoup intervenir sur les sphères d’angoisses. L’idée est donc de former une grosse partie du personnel et de pouvoir installer cela dans l’unité mais aussi ailleurs dans l’hôpital."
Se renseigner des évolutions scientifiques, des nouvelles recherches et propositions de protocoles est essentiel pour Christine Lapage. En effet, aucune spécialisation "soins palliatifs" n’est nécessaire pour travailler dans le service. Cependant, il semble risqué de se lancer dans une telle activité sans avoir quelques clés en mains : "Ce sont des unités très spécifiques qui demandent à avoir un certain regard. Ce regard s’acquière à travers la formation en gériatrie ou en soins palliatifs. C’est un domaine où indépendamment de la capacité à entrer dans l’intimité de l’autre et de développer un lien relationnel, il faut avoir une certaine maturité."
L’infirmière en chef décrit ce "certain regard" à travers une capacité d’écoute, de patience et de travail en équipe : "Si vous voulez réussir une prise en charge, le travail d’équipe est primordial car on communique beaucoup sur les informations qui concernent les patients."
Son message aux futurs collègues
Pour Christine Lapage, si l’on envisage de se diriger vers le service des soins palliatifs, il est primordial de se connaître et d’être sincère avec soi mais également avec les membres de son équipe : "Il faut que ce soit vraiment un choix que l’on fait car côtoyer la mort au quotidien n’est pas évident. Il y a des moments plus faciles, d’autres plus difficiles. Il faut bien se connaître et savoir dans quelles situations on se sent à l’aise ou non. Il ne faut jamais s’en vouloir si l’on se rend compte que l’on n’est pas à l’aise. Il n’y a pas pire que celui qui ne veut pas se remettre en question, se dit que tout va bien alors que rien ne va."
Elle conclut : "Alors, je préfère que quelqu’un vienne me voir et me dise qu’il n’en peut plus car c’est préférable pour tout le monde : pour lui, pour l’équipe et pour les patients. On doit réussir une fin de vie, c’est très précieux."
A. Teyssandier
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