Réformes sociales du gouvernement De Wever : un choc pour le secteur social ?

Après avoir passé en revue les mesures santé, la rédaction du Guide Social s’est penchée sur le volet social du programme du gouvernement De Wever. CPAS, lutte contre la pauvreté, immigration… Autant de réformes qui suscitent des inquiétudes profondes, voire une réelle mobilisation dans le secteur. Ce jeudi 13 février, de nombreux acteurs du social manifestent d’ailleurs pour dénoncer ces mesures controversées : plafonnement des aides, contrôles renforcés des CPAS, lutte contre la fraude sociale, accueil des migrants réformée… Le secteur social pourra-t-il encaisser ce choc sans vaciller ?
Après la santé, l’équipe du Guide Social a décrypté les annonces du gouvernement fédéral concernant le secteur social. Les réformes annoncées frappent fort... Pour le nouvel exécutif, ces changements visent notamment à responsabiliser les bénéficiaires et à mieux lutter contre la fraude sociale.
Mais sur le terrain, ces décisions sont perçues comme un coup dur. Ce jeudi 13 février, les professionnels du secteur se mobilisent d’ailleurs en nombre pour dénoncer des réformes qu’ils jugent répressives et susceptibles de fragiliser encore davantage les publics précarisés mais également les forces vives du secteur. Le risque de rupture semble bien réel.
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Allocations de chômage : dégressivité accélérée et droits réduits
La mesure phare et la plus commentée ? La limitation dans le temps des allocations de chômage.
Le droit au chômage sera désormais limité à 2 ans, sauf pour ceux qui n’ont pas travaillé au moins 5 ans auparavant : dans ce cas, il prendra fin après seulement 1 an de travail.
Pour les plus de 55 ans, une exception est prévue, mais uniquement pour ceux ayant 30 années de carrière… Les jeunes ne sont pas épargnés : les allocations d’insertion passent de 3 ans à 1 an, réduisant considérablement leur filet de sécurité.
Notons aussi la réforme de la dégressivité des allocations de chômage : « Le système est simplifié avec des allocations plus élevées au début, puis une diminution plus rapide. La durée maximale est fixée à 2 ans, en fonction de la carrière professionnelle », annonce le gouvernement.
Lutte contre la pauvreté : l’emploi comme solution centrale
En Belgique, 2,1 millions de personnes vivent sous la menace de la pauvreté et près d’un Belge sur cinq (18,2 %) est exposé au risque d’exclusion sociale, selon Statbel. Face à ce constat alarmant, le gouvernement De Wever mise tout sur le retour à l’emploi pour lutter contre la précarité.
Son credo ? « Rendre le travail plus rémunérateur ». Une promesse de campagne répétée : garantir un écart de 500 euros entre un salaire et les aides sociales pour inciter à reprendre le chemin du travail.
« Responsabiliser » les bénéficiaires : entre aide matérielle et contrôle renforcé
Le gouvernement entend également responsabiliser les bénéficiaires des aides sociales, notamment dans la gestion de leur budget. Concrètement, l’aide financière pourrait être convertie en aide matérielle : les CPAS auront la possibilité d’utiliser directement le revenu d’intégration pour payer certaines factures lorsque les travailleurs sociaux estimeront que ces dépenses ne sont pas assurées correctement par les bénéficiaires.
Si cette mesure vise une meilleure utilisation des fonds publics, elle est perçue sur le terrain comme paternaliste et pourrait entraîner une perte d’autonomie pour les bénéficiaires.
Des réformes multiples pour simplifier… et contrôler
Voici d’autres annonces de l’Arizona en matière de lutte contre la pauvreté :
- Simplification des régimes d’aide sociale pour garantir un revenu minimum suffisant, réduire la complexité administrative et favoriser l’insertion professionnelle.
- Renforcement des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi, notamment via des parcours d’intégration personnalisés (PIIS) pour tous les bénéficiaires du revenu d’intégration.
- Limitation des cumuls de prestations sociales par ménage, en tenant compte des revenus et des biens mobiliers/immobiliers des bénéficiaires.
- Parcours adaptés pour les personnes en situation de vulnérabilité (assuétude, handicap, maladies de longue durée) afin de faciliter leur réinsertion et garantir un suivi sur mesure.
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La chasse contre la fraude sociale est ouverte
Le gouvernement veut également partir à « la chasse à la fraude » et cela dit-il pour notamment « protéger la base de notre sécurité sociale ». Et à ce niveau c’est le partage d’informations qui sera utilisé. De plus, un renforcement des inspections sociales, soutenu par des moyens humains et technologiques accrus est au menu. Concrètement, les CPAS auront accès aux données bancaires et patrimoniales, tant en Belgique qu’à l’étranger, en cas de suspicion de fraude, précise la note.
« En cas de fraude sociale, l’aide sociale est refusée et les allocations, primes et avantages indus sont récupérés », préviennent les négociateurs de l’Arizona. Et des sanctions dissuasives seront mises en place.
Pour orchestrer cette chasse à la fraude sociale, la coalition De Wever a intégré une nouvelle compétence ministérielle. Le portefeuille du ministre de l’Égalité des chances, Rob Beenders (Vooruit), s’élargit désormais à « la lutte contre la fraude sociale ». Une évolution significative, qui s’inscrit pleinement dans la ligne directrice de l’accord de coalition.
Les CPAS dans le viseur : bonus-malus et contrôles renforcés
Dans un contexte marqué par les dérives révélées au CPAS d’Anderlecht, accusé de clientélisme et de gestion chaotique après un reportage de la VRT, le gouvernement De Wever a décidé de responsabiliser les CPAS. Objectif : instaurer un système de « bonus-malus », basé sur les performances des centres dans l’accompagnement des bénéficiaires du revenu d’intégration.
En cas de fraude, les contrôles seront renforcés, et les sanctions accrues. « Un cadre de contrôle et sanction plus strict sera élaboré. Le SPP IS effectuera des contrôles de manière progressive et systématique sur un échantillon plus large, tout en disposant de davantage de possibilités de sanctions », précise l’exécutif.
Les CPAS performants seront récompensés, tandis que ceux jugés insuffisants risquent des amendes ou une réduction de leurs subsides.
Une surcharge de travail déjà alarmante
Les CPAS sont déjà sous forte pression, pris entre tensions croissantes, surcharge administrative et afflux de dossiers. La limitation dans le temps des allocations de chômage risque d’aggraver la situation en multipliant les demandes de revenu d’intégration. Si le gouvernement promet une augmentation du financement fédéral, beaucoup de responsables de CPAS estiment que cela pourrait ne pas suffire à absorber cette nouvelle charge.
Une question cruciale se pose : quelles compensations seront réellement accordées aux CPAS pour leur permettre de relever ces nombreux défis ?
Des obligations de résultats difficiles à tenir
Avec l’introduction du système de bonus-malus, les CPAS seront désormais soumis à des objectifs de résultats, notamment en matière de remise à l’emploi. Mais la réalité du terrain est bien plus complexe. Une grande partie des bénéficiaires est éloignée du marché du travail, et leur réinsertion rapide semble particulièrement complexe, même avec un accompagnement intensif.
À cela s’ajoute la crise de recrutement chez les travailleurs sociaux, qui complique encore davantage la situation. Les jeunes diplômés hésitent de plus en plus à travailler dans les CPAS, en raison de la charge de travail élevée et du décalage entre les valeurs enseignées (empathie, adhésion des bénéficiaires…) et les pratiques imposées sur le terrain.
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Les travailleurs sociaux en première ligne
Les assistants sociaux des CPAS sont les rouages essentiels du système, mais ils sont déjà épuisés par la surcharge de travail et les exigences croissantes. Si le gouvernement promet de réduire leur charge administrative et de rendre la fonction plus attractive, ces objectifs semblent difficiles à atteindre sans des moyens supplémentaires.
L’instauration d’une obligation de résultats, notamment pour les remises à l’emploi, suscite une profonde inquiétude parmi les professionnels. Ils redoutent une spirale de sanctions injustifiées et une perte de sens de leur mission. Sans un véritable plan d’action, les travailleurs sociaux risquent de se retrouver en première ligne d’une crise sociale dont l’ampleur est encore difficile à mesurer.
Pour aller plus loin : Accord du Gouvernement « Arizona » : impacts directs et indirects sur les CPAS
Lutte contre le sans-abrisme et Housing First
Tandis que les CPAS sont soumis à des contrôles accrus, le gouvernement met également en avant la lutte contre le sans-abrisme avec des mesures spécifiques pour les publics les plus fragiles.
« Nous intensifions la lutte contre le sans-abrisme et continuons à travailler sur des projets tels que Housing First pour les sans-abris confrontés à des problèmes complexes. Nous coordonnons notre approche avec les différents acteurs et administrations concernés. Nous prévoyons également l’accompagnement nécessaire. Les jeunes adultes qui risquent de devenir sans-abri doivent être détectés et soutenus à temps. »
Rajoutons aussi cette mesure : en collaboration avec les autorités régionales, le gouvernement s’engage à préserver les budgets structurels des banques alimentaires pour garantir leur fonctionnement.
Politique migratoire : entre recentralisation et réforme
Le chapitre consacré à l’asile et à la migration introduit plusieurs changements majeurs. Désormais, les primo-arrivants devront résider cinq ans en Belgique avant de pouvoir bénéficier de l’aide financière, ce qui soulève des questions sur l’aide alternative prévue durant cette période. Sans soutien financier adapté, ces personnes pourraient basculer rapidement dans la grande précarité…
Par ailleurs, dans le cadre de la réduction des capacités d’accueil, un processus de phasing-out sera mis en place. Comme précisé dans l’accord gouvernemental, « l’accueil des demandeurs d’asile à l’hôtel disparaît en priorité et ensuite progressivement l’accueil des demandeurs d’asile dans des maisons et appartements individuels via les CPAS (ILA) ».
Il semble clair que l’exécutif envisage de supprimer progressivement les Initiatives Locales d’Accueil (ILA). Pour rappel, l’accueil des demandeurs d’asile fait partie intégrante des missions des CPAS. Les assistants sociaux des ILA jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des candidats réfugiés tout au long de leur parcours d’intégration. Ce travail implique de gérer les différences culturelles, surmonter la barrière de la langue et encadrer les aides octroyées.
Supprimer progressivement les Initiatives Locales d’Accueil (ILA) revient à recentraliser et standardiser l’accueil des demandeurs d’asile. Derrière cet objectif d’harmonisation, des risques de déshumanisation du parcours d’intégration sont dénoncés par plusieurs voix de terrain.
Notons encore ces annonces :
- Adaptation de la législation pour que seule une aide matérielle puisse être accordée aux demandeurs d’asile.
- Rationalisation des étapes de la procédure d’asile pour réduire les délais et garantir un traitement plus rapide des demandes.
- Les personnes en séjour illégal doivent être incitées à quitter volontairement le territoire. En cas de refus, l’État appliquera des expulsions pour faire respecter ses décisions.
- Renforcement des conditions d’admission au regroupement familial.
Coopération au développement : le budget réduit de 25%
Si la politique migratoire se recentralise autour du contrôle et de la réduction des aides, la coopération au développement n’échappe pas non plus aux coupes budgétaires.
Le gouvernement Arizona revoit les priorités en matière de coopération au développement. Abandon de l’objectif des 0,7 % du PIB pour l’aide publique, coupe budgétaire de 25 %, réduction de la déduction fiscale sur les dons… Si certains principes comme le respect des droits humains et la préservation de secteurs clés sont réaffirmés, ces mesures suscitent inquiétudes et incertitudes parmi les ONG et les ASBL actives dans le secteur.
« Avec une coupe de 318 millions d’euros, ce sont des milliers de bénéficiaires directs qui pourraient se retrouver sans soutien. Ces économies budgétaires risquent de fragiliser davantage des populations déjà vulnérables, et de pénaliser à long terme des projets cruciaux », s’interroge Antoinette Van Haute, chargée de recherche au CNCD-11.11.11.
Par ailleurs, le gouvernement a également décidé de réduire la déduction fiscale -de 45 % à 30 %- sur les dons. « Il est particulièrement inquiétant d’apprendre que, en parallèle de coupes qui pourraient affecter le secteur associatif, une sorte de nouvelle taxe sur la générosité va voir le jour. Ça affectera sérieusement de nombreuses petites associations qui vivent essentiellement de dons et c’est paradoxal de pénaliser l’envie de générosité et de solidarité des citoyens belges. »
>>> Pour en savoir + : Coopération au développement : l’Arizona souffle le chaud et le froid sur les ASBL
Egalité des chances et inclusions : quelles annonces ?
« Notre pays a toujours été à la pointe en matière d’inclusion et d’égalité des chances. Chacun peut faire partie de notre société et doit pouvoir y développer tout son potentiel, indépendamment de sa couleur de peau, de son origine, de son genre, de son orientation sexuelle, de son handicap, de son âge, et de tout autre critère de discrimination protégé par la loi », précise l’accord gouvernemental.
Politique en faveur des droits LGBTI+
- Campagnes de sensibilisation et formations pour lutter contre la violence et la discrimination envers les personnes LGBTI+.
- Renforcement des formations pour la police, les agents sanctionnateurs, les animateurs de quartier et les travailleurs sociaux sur la gestion des violences et discriminations.
- Amélioration de l’accueil et du suivi des victimes de violences, avec un accompagnement à chaque étape de la procédure.
Lutte contre les violences liées au genre
- Déploiement national des centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles, avec financement durable et services bilingues garantis à Bruxelles.
- Accompagnement médical, psychologique et sexologique rapproché pour les victimes, création de centres de référence pour les mutilations génitales.
- Prévention renforcée auprès des familles et professionnels pour les filles à risque de mutilations génitales ou de mariages forcés.
- Formation des travailleurs sociaux, policiers et professionnels de la santé à la prise en charge des violences de genre et aux possibilités de levée du secret professionnel en cas de mutilation génitale à risque.
- Signalement anonyme et simplification des points de contact pour faciliter les démarches des victimes.
Deux structures dans le collimateur
Notons encore ces annonces visant expressément deux structures du secteur : la Cour des Comptes effectuera un audit de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et la diminution du financement d’Unia de 25%.
Ces réformes traduisent un changement majeur dans la vision du secteur social. Entre recentralisation des aides, contrôles renforcés et réduction des budgets, les inquiétudes sont nombreuses. Les professionnels du secteur seront-ils suffisamment armés pour éviter un recul social majeur ? La mobilisation du 13 février marque peut-être le début d’une résistance plus large.
Emilie Vleminckx
Rédactrice en chef
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