Limiter la durée des allocations de chômage : entre effet de manche et mensonge

À chaque élection, le sujet des allocations de chômage revient sur la table. Qu’il s’agisse de parler dégressivité, limitation, c’est presque devenu un exercice obligatoire pour nos politiques. Cette fois-ci, on y est peut-être…
Je ne sais pas vous, mais moi, ce nouveau (futur) gouvernement ne me fait pas peur. Au moins, on sait où on va. Ils sont libéraux et ne s’en cachent pas, on n’est plus dans l’enrobage qu’on connaît depuis des années. Ça fait longtemps que nos finances publiques sont bizarrement gérées : tantôt dilapidées pour des projets sans effet, tantôt restreintes là où on en aurait besoin. Parfois, je suis franchement écœurée de voir ce qui est mis en place une fois que l’écho des beaux discours s’est éteint. Ici, le discours est un peu plus franc, à voir ce qu’il en sera concrètement.
Un effet de manche ?
Évidemment qu’on en a discuté de cet effet d’annonce au sujet des allocations de chômage avec des collègues qui travaillent en insertion socio-professionnelle… Ce qu’on en pense : un effet de manche. Il ne suffit pas de regarder des colonnes de chiffres et de faire coïncider le nombre de demandeurs d’emploi avec le nombre d’emplois disponibles pour résoudre le problème du chômage.
Et limiter les allocations de chômage dans le temps ne va pas faire disparaître le chômage (ou l’inactivité professionnelle), non seulement l’histoire l’a prouvé, mais de nombreuses études, dont l’une menée par l’Onem, affirment même le contraire. En réalité, ça va simplement transférer le problème à un autre niveau de compétences. Magie des statistiques.
Concrètement, quels métiers sont en pénurie ?
En fait, je suis même un peu outrée par de tels effets de manches. Concrètement, quels sont les métiers en pénurie ? Des métiers du soin et du social, pénibles, même s’ils ne sont pas officiellement reconnus comme tels, qui sont rarement exercés jusqu’à la pension et qui n’ont probablement jamais été pratiqués par les auteurs des discours en question.
Au niveau des pénuries, on retrouve également des métiers techniques, dont l’exercice requiert souvent une formation complémentaire à celle dispensée initialement à l’école, voire une formation spécifique en entreprise. Beaucoup de ces métiers manuels sont aussi des professions qu’il est physiquement difficile, si pas impossible, d’exercer jusqu’à l’âge (avancé) de la pension et qui, pour nombre d’entre elles, sont exercées par des indépendants ou de petites entreprises qui vont avoir besoin que leur nouveau salarié soit opérationnel rapidement, la faute au coût élevé du travail en Belgique. N’oublions pas les métiers technologiques pour lesquels nous sommes à la traîne du point de vue formation.
Etouffer encore un peu plus les CPAS et augmenter la pauvreté
Dire que limiter la durée des allocations de chômage va résoudre en partie les problèmes économiques du pays, c’est mentir. Déjà parce que le coût financier va être transféré vers les CPAS, qui étouffent déjà. Concrètement, si l’on veut être cohérent en termes d’augmentation du taux d’activité professionnelle, cela signifie transférer des moyens financiers et opérationnels conséquents vers les communes et les CPAS afin d’assurer le versement des allocations et le suivi des personnes, ce qui n’aura probablement pas l’effet économique vanté… Sauf pour les bénéficiaires qui ne rempliront pas les conditions requises pour bénéficier de ce dernier filet de sécurité et se retrouveront sans ressources… basculant ainsi de la précarité vers la pauvreté.
Travailler peu importe le prix a toujours un coût
L’autre mensonge, à mes yeux, c’est de croire qu’il suffit de « mettre au travail » une personne au chômage pour que tout se passe bien, qu’elle (re)devienne productive et contribue au bon fonctionnement de la société. Quelqu’un qui exerce un métier qui ne lui convient pas du tout, dans un environnement néfaste pour lui et qui le fait contraint et forcé finit toujours par coûter cher à la société. Il suffit de voir le nombre de personnes en burn-out, en incapacité de travail prolongé ou en yo-yo, le turn-over dans certains milieux de travail pour le comprendre. Donc non, ce n’est pas si simple. Effectivement, aller travailler, c’est toujours mordre un peu sur sa chique, aucun boulot n’est parfait. Mais demander à un végétarien d’aller bosser en boucherie, c’est un peu extrême… Et ça s’est déjà vu !
Faire dans le simpliste n’aide pas
Un autre mensonge, c’est de faire dans le simpliste. Les métiers les plus en pénurie sont ceux que l’on enseigne dans les filières techniques et professionnelles. Filières qui sont, encore et toujours, considérées comme des filières poubelles. Pas uniquement dans certaines mentalités, mais aussi, parfois par le corps enseignant et la société en général.
Concrètement, ces métiers sont exercés dans des conditions parfois pénibles au niveau des horaires et autres conditions de travail et ils ne sont pas toujours très bien payés, selon le principe peut-être un peu vieillot, que plus longues sont les études, plus élevé devrait être le salaire. C’est peut-être un modèle à revoir si l’on veut rendre plus attractives certaines professions. Tout comme, en vrac, les aides à la mobilité, à la garde d’enfants, la flexibilité permettant de mieux combiner vies professionnelle et privée, l’aide à l’orientation et à la réorientation, la revalorisation de tous ces métiers pénibles, que tant de personnes arrêtent d’exercer au bout de quelques années, car le prix à payer devient trop élevé.
MF - travailleuse sociale
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