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Grand froid : le quotidien d'une directrice d’un centre pour personnes sans-abri

18/01/24
Grand froid : le quotidien d'une directrice d'un centre pour personnes sans-abri

En ces temps de froid intense, l’ASBL Comme chez nous, sous la direction de Sophie Crapez, affronte une crise sans précédent dans l’accueil et le soutien des personnes sans-abri à Charleroi. Confrontée à une demande croissante, avec un nombre record de 1500 personnes différentes accueillies en 2023, l’organisation lutte pour répondre aux besoins avec des moyens qui s’avèrent de plus en plus limités.

L’ASBL Comme chez nous accueille les personnes sans-abri, 7 jours sur 7, 365 jours par an, à Charleroi. La saturation de ses services, l’aggravation des conditions de vie des personnes sans-abri, et la complexité croissante des prises en charge mettent en lumière les défis et les besoins urgents de l’association. Pour évoquer ces réalités, le Guide social a rencontré Sophie Crapez, directrice de l’ASBL Comme chez nous.

"Notre ASBL n’a jamais été confrontée à une situation aussi critique"

Le Guide social  : Dans le contexte actuel de froid extrême, quelle est la situation actuelle au Rebond, le centre d’accueil de jour à l’ASBL Comme chez nous ?

Sophie Crapez : La situation au Rebond est alarmante. Le froid s’invite dans un contexte qui est déjà très compliqué. Depuis plusieurs années, à Charleroi et à l’échelle nationale, le nombre de personnes sans-abri et en grande précarité ne cesse d’augmenter. Pour vous donner une idée, le dernier recensement à Charleroi, en octobre 2021, comptabilisait 1159 personnes vivant dans la rue.

En 2023, le nombre de personnes que nous avons accueillies a non seulement dépassé ce seuil, mais a également augmenté de manière significative, atteignant près de 1500 personnes différentes. En trente ans d’existence, notre ASBL n’a jamais été confrontée à une situation aussi critique.

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Le Guide social : Face à l’augmentation des besoins, vos services d’accueil et d’accompagnement arrivent-ils à répondre à la demande croissante ?

Sophie Crapez : La pression sur nos services est énorme, surtout durant les week-ends, où nous sommes le seul centre ouvert. Récemment, notre capacité a été mise à rude épreuve : nous avons accueilli plus de 100 personnes chaque jour du week-end, un chiffre bien au-delà de nos capacités habituelles, compte tenu de l’exiguïté de nos locaux et du nombre limité de travailleurs sociaux et bénévoles.

Malheureusement, nous avons dû refuser l’entrée à 45 personnes par manque d’espace, en leur offrant néanmoins de la nourriture à emporter et en leur proposant de revenir le lundi. Cette situation est particulièrement préoccupante car ces 45 personnes, bien qu’ayant une solution d’hébergement, vivent dans une précarité extrême. Cela met en évidence non seulement la saturation de nos services, mais aussi l’ampleur croissante des besoins auxquels nous faisons face.

Jusqu’à 145 personnes le week-end

Le Guide social : Quels sont les défis majeurs que votre équipe rencontre et comment parvenez-vous à les surmonter  ?

Sophie Crapez  : Notre plus grand défi est la capacité limitée de nos locaux, qui sont devenus trop exigus et inadaptés face à l’augmentation du nombre de personnes que nous accueillons. Cette promiscuité engendre des tensions inévitables, surtout le week-end quand toute la charge de travail repose sur seulement trois travailleurs et deux bénévoles pour gérer jusqu’à 145 personnes.

Par ailleurs, depuis la pandémie, nous avons observé une évolution dans les comportements de celles et ceux que nous accueillons. Les aides d’urgence, comme la distribution de nourriture, de vêtements et l’accès aux douches, étaient cruciales pendant la crise du Covid-19. Cependant, elles ont aussi modifié les attentes des bénéficiaires.

Au sein de Comme chez nous, nous voyons l’aide d’urgence comme une première étape, un moyen d’apaiser les personnes avant d’entamer un travail psychosocial plus profond pour les aider à sortir de la rue. Cependant, le défi se pose lorsque d’autres structures continuent de fournir une aide d’urgence sans intégrer de suivi social, ce qui peut créer une dynamique de dépendance plutôt qu’une autonomie. Notre approche est de donner les moyens aux personnes d’améliorer leur situation elles-mêmes, mais cela est compliqué lorsque l’environnement extérieur n’adopte pas toujours la même philosophie.

Les travailleurs et bénévoles sont sous pression

Le Guide social : Quel impact ces défis ont-ils sur les travailleurs sociaux et bénévoles ?

Sophie Crapez  : L’impact sur notre équipe est profond et préoccupant. Nous faisons face à des comportements inacceptables de la part de certaines personnes accueillies, ce qui met nos travailleurs et bénévoles sous une pression énorme. Des incidents aussi mineurs qu’une tasse de café pas assez sucrée ou une tartine non beurrée peuvent déclencher des réactions disproportionnées, créant un environnement tendu et difficile.

La tension se ressent aussi parmi nos bénévoles les plus dévoués. Notre responsable des volontaires a exprimé ses inquiétudes : certains de nos bénévoles de longue date envisagent de se retirer en raison de ce contexte particulièrement difficile. Cela souligne la nécessité de soutenir non seulement nos responsables mais aussi nos travailleurs et bénévoles à travers des mesures concrètes. La prévention des risques psychosociaux est essentielle mais nous manquons de ressources. Cela met en lumière le besoin crucial de renforcer notre soutien interne pour maintenir un environnement sûr et soutenant pour tous.

Le Guide social : En plus des défis déjà mentionnés, y a-t-il d’autres aspects particulièrement difficiles à gérer pour votre équipe durant l’hiver ?

Sophie Crapez : L’hiver pose des défis spécifiques. Notre priorité absolue est la mise à l’abri et l’accompagnement des personnes vivant dans la rue. Nos équipes n’hésitent pas à ouvrir un peu plus tôt et à fermer un peu plus tard, pour maximiser leur protection contre le froid. Cependant, nos ressources sont limitées, ce qui rend difficile l’extension de nos services autant que nous le souhaiterions.

Cet enjeu s’accompagne d’une pression psychologique accrue, tant pour les personnes que nous aidons, qui luttent pour leur survie, que pour notre équipe. Gérer cette détresse nécessite une forte résilience émotionnelle de la part de tous. En tant que responsables, nous devons veiller au bien-être de nos accueillis, mais aussi à celui de notre personnel et de nos bénévoles.

Pour relever ces défis, le travail en réseau et les maraudes sont essentiels, surtout en hiver. Nos travailleurs sociaux intensifient leurs efforts pour aller à la rencontre des personnes dans la rue. Ce travail est mené avec les autres services qui vont à la rencontre des personnes sur leur lieu de vie.

En outre, les conditions hivernales apportent des problèmes de santé supplémentaires, comme la grippe et le Covid-19, qui affectent non seulement les personnes sans-abri mais aussi notre équipe, avec une augmentation des absences pour maladie.

Toutefois, il est essentiel de souligner que les défis liés au sans-abrisme ne se limitent pas à la période hivernale. Bien que les risques pour la santé soient exacerbés en hiver, des préoccupations importantes subsistent également en été.

Le Guide social : Concernant les risques liés au froid, comme l’hypothermie ou les gelures, comment votre ASBL s’attaque-t-elle à ces problématiques ?

Sophie Crapez  : Nous avons rencontré une situation d’hypothermie qui a été prise en charge. Nous distribuons énormément de vêtements, de couettes et de couvertures.
Pour faire face aux défis en termes de santé, notre équipe est composée d’une infirmière professionnelle, et nous collaborons étroitement avec les services d’Aide et soins à domicile pour compléter son travail. Nous avons aussi la chance d’avoir le soutien d’un médecin bénévole offrant des consultations régulières.

Cette diversité d’intervenants médicaux garantit que nos accueillis reçoivent un suivi médical adapté. Nous sommes un maillon de la chaine de soin qui s’articule aussi avec le Relais Santé et les autres partenaires du Relais Social de Charleroi.

Des soins immédiats et un travail renforcé en termes de promotion de la santé

Au-delà des soins immédiats, nous menons un travail crucial de promotion de la santé. Récemment, nous avons renforcé ce service avec un second poste à temps plein stabilisé dans le cadre de l’agrément comme opérateur de promotion de la santé attendu depuis plus de 15 ans !

Notre équipe se concentre, en cette saison, sur la sensibilisation aux maladies saisonnières telles que la grippe et le Covid-19, et mène également des campagnes de prévention sur des problématiques spécifiques comme les punaises de lit, un sujet devenu préoccupant en France et également chez nous. Nous menons également une sensibilisation active sur des maladies comme la tuberculose.

En termes de prévention des maladies liées au froid, un aspect crucial de notre travail consiste à éduquer sur les soins des pieds pour prévenir les engelures. Grâce à un partenariat avec une école de pédicure, nos accueillis bénéficient des services de futurs professionnels, améliorant ainsi leur bien-être tout en prévenant des problèmes de santé potentiels.

Reconnaitre la complexité des problématiques rencontrées par les personnes sans-abri.

Le Guide social : De quelles ressources ou aides supplémentaires l’ASBL a-t-elle besoin pour gérer la période hivernale et les défis annuels ?

Sophie Crapez : Les exigences de l’hiver coïncident avec une période déjà chargée pour nous, entre la clôture des rapports annuels et le lancement de nouveaux projets. Cela crée un double défi : gérer les urgences hivernales tout en respectant un calendrier serré.

Cette année présente une double particularité : étant en fin de législature, il est essentiel de nous positionner sur diverses questions stratégiques. Les années 2024 et 25 verront aboutir de gros projets liés au Plan de relance et à des expériences pilotes dans le cadre du projet Territoires zéro sans-abri.

Ce que nous demandons, c’est la reconnaissance de la complexité des problématiques (problèmes de santé physique et mentale, juridiques, d’assuétudes, familiaux…) rencontrées par notre public et, en conséquence, la mise à disposition de ressources humaines qualifiées et formées en nombre suffisant.

Récemment, une psychologue de psychiatrie, en visitant notre centre, a comparé l’état des personnes sans-abri présentes à celui des patients qu’elle voit dans son institution psychiatrique. Cela souligne la gravité des besoins psychosociaux de notre public.

Le décret relatif aux centres d’accueil de jour wallons est très attendu

Nous sommes actuellement en négociation concernant le futur décret relatif aux centres d’accueil de jour wallons, et nous espérons des avancées positives dans la reconnaissance d’un cadre de fonctionnement minimum pour des structures telles que les nôtres.

Malgré le soutien renforcé au niveau régional et fédéral en période hivernale, nos besoins en termes d’effectifs restent insuffisants. Idéalement, il nous faudrait 3 équivalents temps plein (ETP) en hiver, mais actuellement, nous ne pouvons en financer qu’un seul. Etant donné que nous opérons 365 jours par an, il est essentiel pour notre personnel de pouvoir se ressourcer et maintenir un équilibre.

Le Guide social : Quels sont les projets ou objectifs futurs de l’ASBL Comme chez nous ?

Sophie Crapez  : Actuellement, notre projet majeur est la transformation de notre infrastructure. Nous avons entrepris un projet ambitieux de déconstruction et de reconstruction de nos locaux. Cette initiative vise à étendre considérablement nos capacités, doublant la superficie dédiée à nos activités pour atteindre 1100 m². Cela inclut non seulement notre centre d’accueil de jour, mais aussi l’ensemble de nos services.

Nous avons pu mobiliser les pouvoirs publics et je tiens à le souligner. Cependant les besoins de cofinancements privés sont significatifs.

Enfin, en tant qu’entreprise à profit social, le financement de certains métiers (gestion IT, RGPD, RH, communication) est déterminant pour la pérennisation et le développement de notre structure.

Bio express de Comme chez nous

Depuis 1995, l’ASBL Comme chez nous accueille et accompagne les personnes sans-abri et en grande précarité, à Charleroi, pour leur permettre de reprendre pied. Cette première aide d’urgence s’accompagne d’un travail médico-psycho-social afin que les personnes retrouvent un logement stable et une vie digne. Grâce à une équipe pluridisciplinaire composée d’une trentaine de personnes salariées et d’un vivier de bénévoles, l’association s’engage chaque jour à endiguer le sans-abrisme et la grande précarité. Plus d’infos sur le site web de l’ASBL.

Lina Fiandaca

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