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Quel avenir pour le secteur d'aide et soins à domicile ?

14/12/22
Quel avenir pour le secteur d'aide et soins à domicile ?

Gaël Verzele, le directeur de la Fédération « Aide et Soins à Domicile », tire la sonnette d’alarme. Ce secteur, pourtant essentiel à la société, peine à répondre aux sollicitations toujours plus nombreuses des citoyens en perte d’autonomie. En cause : le prix des prestations qui pèse de plus en plus sur les bénéficiaires… Pour Gaël Verzele, il est grand temps d’agir et de donner des moyens suffisants aux acteurs du domicile afin d’affronter sereinement les défis futurs qui seront nombreux. « Dans les 10, 20 prochaines années, nous allons assister à une augmentation exponentielle de personnes fragilisées à besoins spécifiques », prévient-il. Interview.

Les infirmiers et les aides à domicile, l’entretien ménager et les aides familiales entre autres, sont des services que proposent les neuf antennes Aide et Soins à Domicile (ASD). Les 5.000 professionnels, du secteur en Belgique francophone et germanophone, réalisent un travail d’accompagnement, de soins et de prévention auprès de personnes en perte d’autonomie. Réel soutien pour les aidants proches ou seule compagnie pour les hommes et les femmes isolées, le secteur ne peut malheureusement pas répondre à l’ensemble des demandes qui lui sont adressées, voyant même certains services fermer faute de financement.

Le directeur de la Fédération d’Aide et Soins à Domicile, Gaël Verzele tire la sonnette d’alarme et demande une étude des besoins de la population en perte d’autonomie ou en besoins spécifiques afin que les ASD soient en capacité d’apporter une réponse adéquate.

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Un sous-financement de métier de garde d’enfants malades

Le Guide Social : Les différents services que les ASD proposent vont de l’entretien ménager à l’aide familiale en passant par des ateliers coutures, des soins infirmiers, psychologiques et la garde à domicile. On trouve également un service de garde d’enfants malades. Actuellement, ce secteur rencontre des difficultés. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la situation ?

Gaël Verzele : Pour les gardes d’enfants malades, plusieurs services ferment faute de financement. Ce sont des structures que nous avons développées il y une bonne dizaine d’années dans une dynamique d’innovation sociale. Nous avions observé un besoin vis-à-vis des parents en difficulté. Notons que de nombreuses femmes doivent prendre congé pour s’occuper de leur enfant car il n’y a pas d’autres solutions, avec tout le danger et la pression que cela génère, comme dans le cas d’emplois précaires. Au regard de ces enjeux, nous avons eu la volonté avec notre partenaire, la Mutualité Chrétienne, de développer ce service de gardes d’enfants malades. Au travers des avantages que l’on peut obtenir avec une assurances complémentaire en tant que membre d’une mutualité, la structure avait soutenu financièrement la création de ce service. Les contraintes et les règles liées aux assurances complémentaires ayant évoluées, il y a eu des diminutions de ces types de couvertures et donc un sous-financement de ces métiers-là.

Malgré tout le lobbying et les portes que l’on a poussées pendant 10 ans pour obtenir un financement structurel, il n’y a jamais eu de reconnaissance au niveau de l’ONE. Nous n’avons pu obtenir que des postes financés via des aides à l’emploi. Mais, ce coup de pouce était insuffisant pour maintenir le métier. Nous avons donc dû prendre la décision, dans un grand nombre de structures, de fermer les services. Il reste trois services actifs, à Bruxelles, Liège et Verviers.

"Il faut développer la présence des coordinateurs dans le secteur !"

Le Guide Social : Vous mentionnez les trois domaines d’intervention des ASD : le soin, l’aide mais aussi la coordination. Pouvez-vous nous en dire plus à propos des coordinateurs et des coordinatrices ? Quels sont leur rôle et leur profil ?

Gaël Verzele : Dans les situations « simples », les coordinateurs sont des assistants sociaux qui gèrent les métiers de l’aide ou des infirmiers chefs qui gèrent les équipes d’infirmiers et d’aides-soignants. Pour les cas plus complexes, où les pathologies sont plus lourdes, ce sont des coordinateurs à part entière qui interviennent. Ces situations nécessitent de coordonner plusieurs professionnels autour des besoins du bénéficiaire. Ces besoins peuvent concerner nos services mais également d’autres services et métiers comme le médecin traitant, le kiné, l’hôpital en cas d’entrée ou de sortie, les maisons de repos... En cela, le coordinateur gère tout ce réseau. Il joue donc le rôle de chef d’orchestre pour que la situation soit la plus adaptée pour la personne et son entourage.

Le Guide Social : C’est donc une personne référente pour la famille ?

Gaël Verzele : Dans les cas complexe oui, mais dans les cas plus simple, c’est l’assistant social du Service d’Aide aux Familles (SAFa) qui devient référente.

Le Guide Social : Les coordinateurs ont une formation particulière ?

Gaël Verzele : La formation de base est celle d’assistants sociaux mais une fois qu’ils arrivent dans notre secteur ils sont formés aux réalités du terrain comme les pathologies lourdes, les troubles de la santé mentale et au parcours de fin de vie. Ce sont des vécus qui entraînent des relations aux autres particulières et une forte charge émotionnelle. Mais c’est vrai pour l’ensemble du terrain et nous organisons systématiquement des formations continues à l’ensemble des métiers. Cela leur permet d’appréhender les situations multiples et la complexité du terrain.

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Le Guide Social : Les coordinateurs ne sont pas assez nombreux. Le besoin se fait cruellement sentir dans votre secteur. C’est d’ailleurs un des enjeux derrière les assises de la première ligne et Proxisanté en Région wallonne…

Gaël Verzele : Effectivement. Il serait utile que ce métier se développe afin d’exister à plus grande échelle car aujourd’hui, ces coordinateurs sont limités dans le nombre de situations qu’ils peuvent accompagner.

Nous défendons également le fait de ne pas ajouter, aux acteurs de terrain, de nouvelles couches de gestion dans la « lasagne institutionnelle ». Cette situation risquerait d’être coûteuse et non efficiente car la finalité de Proxisanté est d’apporter une réponse adaptée aux besoins de la population. La plupart des besoins ont déjà des réponses. Ces dernières ont parfois été créées par le secteur associatif, et ce sans subside, pour faire face à des situations nouvelles. Certaines d’entre elles sont déjà institutionnalisées et financées mais pas à la hauteur des besoins de la population.

On se rend compte que peu importe le métier dont on parle, nous ne sommes pas en mesure de répondre à l’ensemble des demandes qui entrent dans nos structures. Les raisons ? La pénurie qui frappe certains métiers mais aussi le financement en enveloppes fermées. Si nous sommes financés pour six millions d’heures et que les demandes représentent douze millions, nous ne pouvons répondre qu’à la moitié.

En fait, le premier souci c’est qu’on ne se connaît pas. Les pharmaciens ne savent pas ce que font les aides familiales, elle-même sont rarement en contact avec le médecin, qui ne sait pas ce que les services locaux de santé mentale font... alors que chacun des acteurs représentent un maillon des besoins des patients. Connaître le réseau et le connecter permet aux bénéficiaires d’être rapidement dirigé vers les acteurs adéquats en fonction de ses besoins.

"Les bénéficiaires voient leurs contributions augmenter. Concrètement, entre 60 et 70% des individus paient le maximum des contributions"

Le Guide Social : Quel est l’enjeu, selon vous ?

Gaël Verzele : C’est de stabiliser ce qu’il existe avec des financements adaptés pour permettre un travail de qualité dans un temps suffisant. Il convient aussi d’identifier les lieux vers lesquels les citoyens se tournent naturellement, quand ils sont face à un besoin lié à une perte d’autonomie, une maladie ou un isolement social. Et la troisième étape est de renforcer ces structures. Tout cela dans le but d’optimaliser la communication entre les acteurs.

Par exemple, on sait que les personnes âgées se tournent naturellement vers leur mutuelle pour obtenir des renseignements sur leurs droits en terme de remboursements mais aussi de services. les conseillers mutualistes représentent donc une belle porte d’entrée dans le conseil et le renseignement des bénéficiaires, comme les CPAS pour les personnes précarisées ou isolées.

La coordination doit se réaliser sur deux pans : autour de la personne via les centres de coordination où les coordinateur pourront déterminer les besoins de la personne et donc les professionnels concernés permettant de les réunir. Les avantages de cette mise en place sont nombreux. Je pense notamment à la redirection rapide des personnes vers les bons professionnels, permettant une prise en charge précoce et l’instauration d’un système de prévention efficace.

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Le Guide Social : Historiquement, au sein de votre secteur, il y a toujours eu plus de demandes que de réponses mais aujourd’hui, on observe une diminution des prestations…

Gaël Verzele : Spécifiquement en Région wallonne, le coût des prestations, notamment pour les aides familiales, est défini à travers un barème de contribution des bénéficiaires, géré par le Gouvernement wallon. La facture va de 0,78€ à 7,81€ de l’heure en fonction des revenus de la personne. Ces grilles n’ont pas été indexées depuis 1993 ! Or, les revenus sont indexés, année après année. Conséquence : les bénéficiaires voient leurs contributions augmenter. Concrètement, entre 60 et 70% des individus paient le maximum des contributions. Ce qui est problématique car nous sommes face à des gens qui ont des revenus très bas et qui ont besoin d’avoir une aide familiale et une garde à domicile toutes les semaines mais le budget en pâtit trop. Face à ces difficultés économiques, ces personnes font le choix de diminuer les heures de prestations. Un phénomène d’autant plus fort depuis la crise énergétique !

Cette situation amène les professionnels à réaliser leurs tâches plus rapidement. L’impact est multiple : une perte de la qualité dans la relation, dans l’accompagnement et la prévention et des risques accrus d’épuisement et d’accidents pour les travailleurs.

Sur cette base, il est très difficile d’évaluer de manière très concrète les réelles besoins de la population. Les politiques nous reproche cela. Ce que je leur réponds ? A partir du moment où les services sont trop chers ou que les bénéficiaires ne connaissent pas les services par manque d’information, il est difficile d’avoir une vision transparente de la situation !

"Il est de la responsabilité des politiques de faire une étude des besoins de la population pour pouvoir avoir un véritable plan d’aide sociale et de santé"

Le Guide Social : Vous mentionniez l’importance de la prévention...

Gaël Verzele : Tout le monde y gagne ! Les patients bénéficient d’une meilleure prise en charge, les professionnels peuvent faire un travail dans de meilleures conditions et les autorités publiques font des économies. Malheureusement, les métiers du secteur de l’aide ne bénéficient pas d’une couverture médiatique, revendicative. On découvre ce secteur quand on en a besoin. Nos services interviennent donc parfois trop tard alors qu’ils pourraient mettre en place toute une série d’actions de prévention, en intervenant dès les premiers besoins. Cela se joue parfois à peu. Par exemple, la venue d’une aide familiale seulement deux heures par semaine peut avoir des effets très bénéfique. Un travail de stimulation, d’éducation et de développement de l’autonomie de la personne va permettre de limiter la dégradation de la situation et donc la dépendance à une aide externe.

Une autre facette de la prévention concerne les mamans isolées dans les zones rurales. Elles font appel à l’aide familiale afin d’obtenir un accompagnement dans les actes de la vie quotidienne comme faire les courses, planifier ou aider à préparer des repas équilibrés, ce qui répond à une réelle prévention socio-sanitaire.

Même si elles ne représentent pas une grande part de nos interventions, il est important que l’aide familiale puisse proposer ces services car on est dans un besoin d’aide à la vie quotidienne, un besoin d’accompagnement pédagogique pour améliorer l’autonomie et d’amélioration des conditions de santé auprès des mamans et de leur entourage.

C’est un sujet difficile à faire entendre aux politiques… Nous ne sommes pas obligés d’intervenir que dans les situations complexes. On est là aussi pour éviter les coûts des situations plus graves.

Je pense qu’il est de la responsabilité des politiques de faire une étude des besoins de la population en perte d’autonomie ou en besoins spécifiques pour pouvoir avoir un véritable plan d’aide sociale et de santé.

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Le Guide Social : Selon vous, quelles seraient les grandes lignes de ce plan ?

Gaël Verzele : On sait que dans les 10, 20 années qui arrivent, nous allons assister à une augmentation exponentielle de personnes fragilisées à besoins spécifiques. En 2010, une étude du KCE a mis en évidence l’augmentation nécessaire des places au sein des maisons de repos. L’organisme préconisait également de doubler à l’horizon 2020 le nombre d’aides à domicile pour éviter les institutionnalisations non-désirées et donc l’explosion du nombre de chambres à créer.

Dans la réalité, nous n’avons même pas eu 10% de plus de services à la population sur la période 2010-2020. Comme vous le voyez, nous sommes très loin de la capacité nécessaire pour répondre aux besoins de la population !

Propos recueillis par A. Teyssandier



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