Le patient qui mène son thérapeute vers l'échec
Le pessimisme comme religion : chaque séance n’est qu’une immense plainte, un long cri de détresse, sans la moindre élaboration à l’horizon. Nos propositions de liens restent lettre morte. La situation est définitivement désespérée.
Rien n’y fera : ni une vie confortable, un travail plaisant, un conjoint attentionné, des enfants agréables. Non : ça ne va pas. Un entraînement permanent à voir le verre à moitié vide. C’est comme si tout était inconsciemment organisé pour ne pas parvenir à ses objectifs et pour ne jamais arriver à satisfaire ses désirs. La thérapie sert alors à explorer sans fin les déconvenues, dans une longue litanie de déboires en tout genre. Quant au clinicien, il sera pris, s’il n’y prend garde, dans le même jeu que son patient !
Personne ne peut m’aider, même pas vous !
« Personne ne peut m’aider. On n’avance pas, hein ? De toute façon, ça ne sert à rien tout ça, je perds mon temps et mon argent »… La thérapie sert alors d’alibi supplémentaire : je travaille, je me fais aider, mais rien n’y fait ! Les attaques au clinicien sont parfois à peine voilées : mise en doute de ses compétences et rappel de son impuissance à améliorer les choses. Il s’agit alors de résister, d’entendre les doutes, bien sûr, mais dans un accueil tranquille et bienveillant.
La position du thérapeute
L’écueil à éviter serait de chercher à mettre en exergue les éléments positifs. Ce serait rentrer dans le jeu en offrant la possibilité au patient de voir, même là, des grains de sable qui ternissent irrémédiablement les choses. Il faut donc juste recevoir, le temps qu’il faut, ce flot de mauvaises nouvelles. Suggérer des améliorations faciles à mettre en place aurait le même effet délétère. Chaque proposition serait taillée en pièce et ne ferait que renforcer le processus d’échec.
Coach, s’abstenir !
Il faut donc éviter à tout prix le moindre relent de coaching malgré les appels incessants à donner son avis. C’est le plus gros piège. C’est sur la maïeutique qu’il faut s’appuyer, la nécessité de co-construire les solutions, de chercher à comprendre ensemble, au même rythme, ce qui se joue dans toutes ces ornières. La confrontation peut parfois aider, une légère provocation laissant entendre qu’effectivement il n’y a rien à sauver, à améliorer. Et voir ce que ce triste constat induit dans le chef du patient.
Revenir aux attentes
Revenir aux attentes est essentiel. Il s’agit encore, parmi ces attentes, de revenir à la sacro-sainte distinction : sur quoi ai-je prise et sur quoi n’ai-je pas prise ? Rien que ce travail peut être très porteur : identifier des scénarios plus plaisants (s’autoriser à les imaginer) puis ôter de ces scénarios tout ce qui ne dépend pas de moi. Ce qui reste, c’est l’essence même du changement possible. Nous voilà enfin face à un véritable levier. Sans oublier les mises en lien fortuites, les digressions, les hésitations, tout ce qui peut « rappeler » du déjà vu et qui peut ouvrir une piste plus historique à cette impuissance permanente.
Soyons curieux
La curiosité est également une bonne approche. Revenir aux plus petits détails de tous ces déboires, les émotions ressenties alors, leur intensité, et leur mise en perspective : qu’est-ce qui était le plus douloureux, le plus vexant, le plus humiliant ? Et le contre-exemple ; y a-t-il des fois où ça se passait mieux ? Vous pouvez me raconter ? L’exploration en dehors des discours souvent rabâchés par le patient peut casser un numéro bien rôdé : s’il commence à réfléchir plutôt que de seulement relater, un grand pas est accompli !
D.B., psychologue
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