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UNE VIE DE PSY - Épisode XIX : un retour à la réalité

29/07/19
UNE VIE DE PSY - Épisode XIX : un retour à la réalité

Il n’est pas évident d’être confronté au retour au travail après un arrêt, aussi infime soit-il. Cet épisode de la vie bondissante de T. Persons en est une bonne illustration.

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

Lorsque j’ai entendu pour la première fois mon fils crier, j’ai su que tout allait changer dans ma vie. Soudainement, il n’y avait plus rien d’autre qui comptait : les patients, mon épouse, mes proches, les films de Jaoui et Bacri, je n’en avais cure. La seule chose qui prenait sens, c’était de mettre toute mon énergie à préserver la vie de ce petit être. C’était un peu comme si tout avait basculé dans mes pensées. Finies les inquiétudes, les ruminations. J’étais dans une sorte de plénitude et, avec mon épouse et mon fils, rien ne pouvait nous sortir de cet état de grâce.

Du moins, c’est ce que je pensais les premiers jours. Puis, la réalité vint ardemment me coller à la figure, telle une toile d’araignée que l’on n’avait pas vue dans un vieux grenier. La bonne nouvelle, c’est que j’avais pu passer des journées en compagnie de Marthe sans ressentir le moindre sentiment pour elle. Je ne savais pas si c’était ma nouvelle paternité ou ces affreux uniformes mauves qui avaient fait leur effet, mais je savais que toute cette histoire n’était qu’un avertissement et qu’il fallait que je me concentre sur mon couple pour le faire vivre pleinement. Je m’étais complètement sorti de la tête le récit violent que Georges m’avait raconté et, à la vision d’Anita rayonnante, j’avais compris que tout cela ne me regardait finalement pas. Les gens venaient me voir avec certaines attentes et je tentais de les rencontrer tant que faire se peut. Pour le reste, ce n’était pas à moi de jouer les sauveurs ou d’avoir une vision globale de la situation. Il était capital que j’accepte de n’être qu’un rouage de cette histoire et qu’il était fort probable que jamais je ne comprendrais tout ce qui s’est passé. J’étais en accord avec mes conclusions et au moment de reprendre mes consultations, j’avais presque l’envie de retourner travailler.

« Ma prochaine patiente avait du retard »

Malgré tout, il m’était difficile de laisser Marion se débrouiller seule avec notre fils. Ils sortaient aujourd’hui de la maternité et j’avais décidé de maintenir ma consultation. Vous trouverez ça certainement immonde, et je suis d’accord avec vous. Malheureusement, en plus d’avoir besoin d’un père présent, mon enfant a hérité d’un parent dont le statut d’indépendant l’oblige à travailler quand il peut afin de maintenir un train de vie acceptable. J’étais donc présent sans être présent, pendu à mon smartphone, prenant chaque heure des nouvelles, attendri entre chaque patient lorsque durant mes cinq minutes de pause, je pouvais entrevoir sur les photos que Marion m’envoyait qu’il changeait déjà d’heure en heure. On pourrait se demander si devenir parent fait de nous de moins bon psy ? Globalement, non. Ne pas être à 100 % dans son boulot fait de nous de piètres professionnels, peu importe les raisons, qu’elles touchent à la parentalité ou à tout autre activité où l’on s’investit pleinement.

Bref, la journée arrivait presque à son terme lorsque je remarquai que ma prochaine patiente avait du retard. Mon premier réflexe fut de pester contre l’Univers qui fait en sorte que c’est toujours l’avant-dernier patient qui annule et jamais le dernier. Puis, je pris le temps de voir qui était ce fameux patient. En une fraction de seconde, un frisson parcourut mon corps : il s’agissait d’Anita. Je pris le temps de m’asseoir, de respirer lentement, comme on nous l’apprend lorsque l’on fait de la relaxation ou que l’on essaye d’avaler la fumée de sa première cigarette. Il était hors de question que je laisse mes vieux démons reprendre le dessus. Si Anita n’était pas présente, c’était certainement qu’elle avait mal noté le rendez-vous. Je dus lutter contre moi-même pour éviter de rentrer dans des scénarios où Marthe tabassait Anita à coup de spéculum dans les tempes. Je mis donc toute mon énergie au service de mon bien-être en chassant mes ruminations. Puis, je me mis à chercher le numéro de téléphone d’Anita dans mes notes, qui n’étaient pas bien épaisses et enfin, je téléphonai. J’eus la surprise de tomber sur le message d’un opérateur, précédé par ces notes nauséabondes jouées au synthétiseur bon marché en sorte d’arpège dissonant, indiquant que le numéro que j’avais composé n’était plus attribué.

J’avais donc une patiente injoignable qui, il y a deux jours, m’avait quasiment bordé alors que j’étais dans les vapes et qui, en toute logique, devait se retrouver hospitalisée après avoir été tabassée par une autre de mes patientes, mais qui bizarrement était resplendissante… À nouveau, mon flair aurait dû m’indiquer qu’il y avait quelque chose de particulier qui était en train de se tramer. Si j’avais compris plus tôt qu’il ne s’agissait pas d’une simple erreur de numéro de téléphone, mais bel et bien d’une véritable disparition, j’aurais peut-être été un peu plus alerte. Malheureusement, je ne sais pas si c’était le changement dans ma vie familiale ou mes médiocres qualités de déduction, mais je n’ai rien tiré de toutes les pièces du puzzle qui commençait, tout doucement, à se dresser devant moi…

T. Persons

[Du même auteur]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix
 Épisode VIII : le poids des secrets
 Épisode IX : la ligne rouge
 Épisode X : autour d’un verre
 Épisode XI : savoir dire non (partie I)
 Épisode XII : savoir dire non (partie II)
 Épisode XIII : un métier dangereux
 Épisode XIV : les idées noires...
 Épisode XV : l’effet papillon
 Épisode XVI : un état de choc
 Épisode XVII : une rencontre inopinée
 Épisode XVIII : démêler le vrai du faux



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