Péripéties d'une intervenante sociale : Hugo refuse les soins
Le vécu d’impuissance est particulièrement inconfortable lorsqu’il s’abat sur quelqu’un qui a vocation de « soigner » les gens. Il l’est moins lorsqu’on accepte que l’enjeu n’est pas dans la réussite ou non d’un traitement.
Nouvelle saisissante dans le secteur social en cette journée ensoleillée : nous ne sommes pas omnipotents. Pire : il nous arrive d’être impuissants face à certaines situations, et bien démunis pour s’en dépêtrer… Qu’à cela ne tienne ! Une autre nouvelle me vient dans l’oreillette : en fait, il ne faut pas toujours se dépêtrer d’une situation compliquée, pour la bonne et simple raison que cela ne nous appartient pas.
Quotidien
Ce matin Hugo est parti. Il a signé une décharge et il est parti. On avait pourtant essayé de l’en dissuader, de lui dire combien il était important d’aller au bout des choses, de ne pas baisser les bras…On avait pourtant essayé de le convaincre du bien-fondé de notre travail commun. Il nous a souri poliment, décliné l’invitation à rester et est parti.
Les super-héros, ça n’existe pas
Faire face au sentiment d’impuissance, c’est aussi et avant tout, accepter qu’on ne détient pas la toute-puissance… Il y a quelque chose de cet ordre-là qui se joue dans la relation soigné-soignant : on l’appelle poliment « mythe du sauveur », mais dans le fond il reste quelque chose d’assez orgueilleux dans ce genre de relation : celui qui « soigne » est, de facto, censé prodiguer un traitement qui fonctionne. Et quand c’est le patient lui-même qui vous renvoie au fait que cela n’a pas marché, il y a probablement quelque chose qui se joue dans l’égo.
Ego et liberté
Hugo est parti et ça faisait des semaines qu’il l’anticipait. Nous le voyions moins, il esquivait les entretiens, évitait les activités collectives, s’éloignait… Comme un ado qui prend son autonomie. Dans le milieu où je travaille, les patients ont la liberté d’arrêter le travail thérapeutique, quel que soit l’avis des spécialistes. Quand un patient signe l’échec de sa thérapie, ça touche donc directement le corps soignant, à la différence de structures où l’aide se fait sous contrainte, par exemple.
L’expert, c’est toi
Hugo est parti, et avec lui une valise encore bien (trop ?) remplie de questions, d’incertitudes et de détresses. Il a choisi de la porter seul parce qu’au fond, il n’y a que lui qui sache encore comment on la tient. « Il n’y a que lui qui sait… » C’est une idée qui me guide au quotidien, dans mes interventions : on a beau avoir fait des études, penser connaître la psyché sur le bout des doigts (ce n’est pas mon cas mais passons) et se former constamment, nous n’aurons jamais l’expertise du patient lui-même.
De l’humilité, pardi !
On ne fera jamais l’économie d’un peu d’humilité dans nos approches : si Hugo est parti, c’est parce qu’il l’a choisi, parce qu’il n’y trouvait pas son compte, tout unique qu’est sa personne. Il n’est pas parti parce que nous étions trop ceci ou pas assez cela… Par quelle prétention pourrait-on penser avoir un tel pouvoir sur ses décisions ?
Témoins du libre-arbitre
Ici, mon sentiment d’impuissance s’est joué dans le fait que je n’ai pas su retenir une personne qui pourtant (selon mes propres perceptions) avait besoin d’aide. Pour autant, ce sentiment se joue constamment dans nos pratiques : nous n’avons pas le pouvoir de changer les choses. Tout au mieux la capacité à soutenir un changement initié par l’individu lui-même.In fine, si cette expérience arrive à la totalité (j’ose m’avancer) des travailleurs sociaux, tous champs confondus, ça a plutôt valeur d’être rassurant : c’est que celui qui nous fait face est encore capable de décider, d’une manière ou d’une autre. Il est libre, comme nous.
L. – Assistante en psychologie
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