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Assistants sociaux indépendants : une option qui séduit autant qu’elle inquiète

13/06/22
Assistants sociaux indépendants : une option qui séduit autant qu'elle inquiète

Le métier d’assistant social est touché par une nouvelle tendance : travailler sous statut d’indépendant. Ils et elles sont aujourd’hui une quinzaine à avoir choisi cette voie peu ordinaire. Le phénomène est certes marginal mais il pourrait prendre de l’ampleur dans les prochaines années. Car, l’idée en séduit plus d’un ! Pour analyser la situation, le Guide Social a rencontré Liliane Cocozza, présidente de l’Union professionnelle Francophone des Assistants Sociaux (UFAS) et Marc Chambeau, membre du Comité de Vigilance du Travail Social (CVTS). Campés sur des positions différentes, ils poursuivent le même objectif dans leur réflexion : le bien-être des travailleurs et des bénéficiaires.

A l’occasion d’une question posée sur la page Facebook de l’association des travailleurs sociaux indépendants à propos de l’intérêt pour le statut d’indépendant, plus de 6.000 personnes ont répondu par la positive. Tendance qui a fait réagir le secteur. L’UFAS a organisé une conférence à ce sujet en janvier 2019 et le CVTS envisage la rédaction d’une carte blanche. Pourquoi cet engouement ? Et surtout, pourquoi engendre-t-il des inquiétudes ?

Une tendance marginale en réponse à des difficultés de terrain…

Le nombre d’assistant.e.s sociaux.ales indépendant.e.s est encore peu élevé en Belgique. Cependant, plus de 6.000 personnes ont répondu par la positive au post Facebook de l’UFAS, cherchant à connaître combien d’AS seraient intéressé.e.s par le statut d’indépendant.e.s. L’idée fait son bonhomme de chemin et commence à s’organiser autour d’une Fédération des Assistants Sociaux Indépendants de Belgique (FASIB).

 Lire aussi  : Assistantes sociales indépendantes : "Pour retrouver l’essence de notre métier"

Dysfonctionnement des systèmes sociaux, charge de travail de plus en plus importante entraînant un ralentissement des démarches d’accès aux droits, manque de démocratie dans certaines structures, de reconnaissance et de libertés… autant d’arguments qui poussent certain.e.s travailleurs.euses sociales-aux à envisager l’aventure en leur propre nom. Membre du bureau du Comité de Vigilance du Travail Social (CVTS), Marc Chambeau reconnait cet état de fait : « On comprend que le statut d’indépendant puisse être pensé comme solution face à ces dysfonctionnements car il confère plus de libertés. »

Pour Liliane Cocozza, présidente de l’Union professionnelle Francophone des Assistants Sociaux (UFAS), le développement de cette tendance est un signal d’alarme aux institutions publiques : « Le manque de reconnaissances des AS au sein des institutions et du manque de libertés dans leurs pratiques, entraînent cette situation. »

…qui soulève des inquiétudes

Interrogé par le Guide Social, Marc Chambeau, également enseignant à Cardijn notamment en déontologie et méthodologie, nous partage son inquiétude à propos de l’attractivité que suscite cette nouvelle orientation professionnelle. Sur les questions de déontologie tout d’abord : « Les AS apportent une aide sociale et donc une aide individuelle dans un cadre plus large qui est l’action sociale. L’action sociale est une action menée par et au sein des services sociaux qui vise à améliorer les mécanismes institutionnels, le fonctionnement des relations sociales et du système social à tous les niveaux. Améliorer les structures qui fonctionnent mal, notamment par l’action collective fait partie de nos missions. Or, les AS indépendants travaillent de manière individuelle et de fait, ne remplissent plus cette fonction politique. On pense même qu’en tant qu’indépendants, ils visent à perpétuer ce système en ne portant leur attention que sur les situations uniques au détriment du problème individuel ancré dans un fonctionnement global qu’il faudrait tendre à modifier. Par exemple, si un bénéficiaire rencontre des problèmes à trouver un logement à cause de son casier judiciaire, notre rôle d’AS est aussi de faire en sorte que de manière globale, le casier judiciaire ne soit plus un problème dans la recherche de logement. C’est une nécessité du travail social. »

Dans une pratique indépendante, l’éthique qui régit les pratiques des AS pose également question. Le travail avec un réseau étendu est central dans l’apport d’une réponse adéquate aux bénéficiaires. A l’occasion de dossiers trop complexes, il peut même prendre le relai. Marc Chambeau entrevoit dans les pratiques indépendantes, un risque de moindre collaboration avec ce réseau afin de conserver les dossiers, qui sont la source des rémunérations des travailleurs sociaux indépendants. Il tient à préciser : « Ces constats font part de risques potentiels. Je pense que celles qui choisissent ce statut souhaitent le meilleur. »

La rémunération est elle aussi source de réflexion. Pour la FASIB, le prix plancher des consultations est fixé à 50 euros. Somme qui, pour certains, ne semble pas raisonnable au vu des difficultés financières que rencontrent la plupart des bénéficiaires : « Quelles populations cherchent à toucher les AS indépendants ? Une niche de personnes qui ont les moyens et qui vont, par exemple, engager une AS pour réaliser une recherche d’école pour un enfant handicapé ou pour une maison de repos pour leurs parents ? Elles doivent être claires là-dessus », questionne le membre du CVTS.

Marc Chambeau poursuit à propos de la nécessité d’une inscription du travail social dans une logique institutionnelle, tout en reconnaissant la rigidité et la complexité potentielle de cette inscription : « Parfois, cela peut être compliqué et trop cadrant mais le cadre institutionnel est nécessaire pour éviter les dérives. Il permet un regard extérieur sur les pratiques et donc la critique de sa propre pratique. Par rapport à la rigidité du cadre institutionnel, c’est, encore une fois, grâce à un travail collectif que l’on peut rendre compte des difficultés que ce cadre engendre et ainsi le modifier. Alors que le seul cadre auquel sont attachés les ASI, c’est le leur. Prenons l’exemple de deux résidents en maison de repos qui souhaitent avoir des relations intimes. Le pouvoir organisateur ne le permet pas mais les intervenants sociaux au sein de ces maisons de repos, peuvent estimer qu’ils devraient y être autorisés. Leur mission est de réfléchir, collectivement avec les autres professionnels, pour trouver une solution. Les institutions permettent souvent cela, elles sont des lieux de débats. Face à ce genre de situations, que feraient les ASI rémunérés par les enfants de ces résidents qui ne souhaiteraient pas que leurs parents développent de telles relations, si ce n’est répondre aux attentes de celles et ceux qui détiennent les cordons de la bourse ? »

Un contenu de formation à revoir pour une meilleure reconnaissance

La présidente de l’UFAS, Liliane Cocozza soutient la tendance en évolution : « Nous soutenons la tendance en évolution, car nous estimons que le travail social a évolué et est plus spécialisé. »

A l’occasion de nombreux échanges avec les professionnel.le.s sur le terrain, beaucoup lui ont fait part de l’étroitesse de la marge de manœuvre voire de l’impossibilité à décider par eux.elle-mêmes des programmes à mettre en place dans le cadre d’institutions : « Le peu d’autonomie qu’ils peuvent avoir pour organiser le suivi, leur est refusé. Les AS sont un objet de la politique du service dans lequel ils sont engagés. Ainsi, ils cherchent à s’extraire de cela et à s’engager complétement dans le travail d’accompagnement social. Il y a un véritable manque de liberté et de reconnaissance en tant qu’agent de l’aide sociale qui est qualifié pour cela et qui a le droit à son autonomie technique, c’est-à-dire le choix dans ses manières de faire et dans le programme qu’il va établir avec les bénéficiaires. »

Dans le secteur depuis 43 ans, la présidente reproche également la charge de travail bien trop lourde à laquelle doivent faire face les AS : « Elle est telle qu’elle ne donne plus la possibilité d’accéder à un résultat satisfaisant. Le travail ne peut être réalisé en profondeur et ainsi permettre de prévenir les rechutes. Plus elles sont fréquentes, plus les chances de s’en sortir s’amoindrissent. Cela entraîne les AS à vouloir traiter les dossiers à leur manière, à retrouver le sens de leur travail. »

Liliane Cocozza dénonce ce manque de liberté qui génère un manque de reconnaissance. Pour elle, ceci trouve ses racines dans la régionalisation et le regroupement des compétences dans les grandes écoles, plaçant dans l’ombre la spécificité de l’exercice des AS : « Depuis la régionalisation, les compétences ont été regroupées dans des grandes écoles. Kinés, traducteurs, interprètes, biblio-thécaires…toutes ces professions ont des spécificités propres qu’il faut reconnaitre pour une bonne préparation à l’entrée dans leur fonction. La formation de base des AS demande une approche spéci-fique de certaines matières telle que la psychologie par exemple et nécessite un accompagnement par des supervisions individuelles voire en petit groupe. D’autre part, il faut se préparer au delà de la formation de base à se former tout au long de sa vie professionnelle. »

A.Teyssandier

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