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UNE VIE DE PSY - Épisode XXIII : et soudain, la lumière…

26/08/19
UNE VIE DE PSY - Épisode XXIII: et soudain, la lumière...

Dans cet avant-dernier épisode de la vie tumultueuse de T. Persons, on apprendra qu’en cas d’urgence, mieux vaut appeler la police que le psychologue…

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

L’attente… J’ai souvent eu du mal à gérer les temps morts. Que cela soit le patient en retard ou la commande au fastfood un vendredi soir, tous ces instants vides que le quotidien nous offre m’ont toujours affecté au plus haut point, tel un bout de nourriture coincé entre deux dents. Pour autant, je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai un problème avec l’ennui ou la contemplation… Il faudrait peut-être aller chercher des réponses du côté de mon besoin de contrôle qui, telle une ascendance d’horoscope, est censé sommeiller en moi… À vrai dire, je crois bien que j’ai du mal à tolérer l’attente quand on m’impose de la subir… Ne pas avoir le choix… C’est là que ça me file des angoisses. Or, j’étais dans mon salon avec Marion, mon épouse, à attendre que ce téléphone sonne pour me donner enfin des nouvelles positives concernant mon fils fraîchement disparu… Il était bien entendu impossible de continuer le cours de mon existence et de faire comme s’il ne s’était rien passé. L’univers voulait que je sois au centre d’une tragédie et il m’imposait de la vivre intensément, coincé dans mon canapé. Or, attendre m’était devenu insupportable… Il fallait que j’agisse.

En entendant le téléphone sonner pour la deuxième fois en une heure, à nouveau, mon cœur se mit à accélérer la cadence : j’étais passé du rythme langoureux de la bossa-nova au tempo effréné d’un rockabilly en quelques millisecondes… Et comme souvent dans ce genre de situation, l’appel n’avait rien de bien important… Il s’agissait de Madame Aboudikian, une voisine du quartier à qui je loue mon cabinet qui prenait l’habitude de me téléphoner à chaque fois que l’étourderie venait frapper à ma porte. De fait, j’étais coutumier d’oublier les lumières allumées et ma charmante voisine me le rappelait, tout en me faisant culpabiliser sur le coût de l’électricité, la chance de vivre dans un monde où l’on a la lumière et l’impact de mon comportement de primate sur l’avenir de notre planète… Bref, ce n’était pas l’information que j’attendais, mais j’avais enfin un prétexte en or pour m’éloigner de mon canapé et faire quelque chose.

« Attendre… C’était me condamner à réfléchir »

On ne va pas se mentir, la naissance de notre fils nous avait rapprochés Marion et moi. Néanmoins, il suffisait qu’il disparaisse quelques heures pour que tous les défauts de Marion refassent surface. Je prétextai donc de devoir aller éteindre les lumières de mon cabinet à 10 kilomètres de mon domicile, ce qu’elle ne comprit pas. Pour elle, la meilleure chose à faire, c’était d’attendre et prier pour avoir des nouvelles… Attendre… C’était me condamner à réfléchir. Déjà qu’en tant que parent, on se met une pression de dingue pour éviter de saborder le devenir de nos enfants mais si, en plus, on est psychologue et que l’ombre d’un enfant souffrant d’obésité morbide chantant big bisou dans une chemise à fleurs plane au-dessus de votre tête, réfléchir aux conséquences d’un enlèvement sur l’avenir de votre rejeton est juste invivable.

Le trajet en voiture me permit de me recentrer sur le fond du problème. Qui avait bien pu enlever mon enfant ? L’inspecteur Pinson trouvait particulier qu’Anita et Georges disparaissent en même temps que mon fils. De mon côté, j’avais du mal à saisir son point de vue. On a beau dire, le cursus universitaire nous sert de belles vignettes cliniques qu’on analyse avec lucidité pour en définir un panel psychopathologique. Pourvu qu’on soit un peu dégourdi et qu’on ait suffisamment confiance en soi, en qualité de professionnel, on se dit qu’on est armé pour coller une étiquette aux différentes maladies mentales. Néanmoins, c’est toujours plus flou sur le terrain.. Lorsque l’on est confronté à la folie, il est souvent difficile d’en définir les contours… C’est quoi le normal, c’est quoi le pathologique ? Moi-même, avec un peu de créativité, j’arriverais à me coller plusieurs diagnostics du DSM sur le front… Bref, je n’essaye pas de me justifier, ou de cautionner le fait que j’étais depuis le début passé à côté de mon sujet, mais ce qui était certain, c’est que je n’aimerais vraiment pas être psychiatre.

En arrivant devant mon cabinet, tout paraissait normal, en dehors de cette lumière qui flottait à travers les fenêtres. Je passai le portail, ouvris la porte d’entrée et essuyai calmement mes pieds sur le paillasson. En cherchant la clé de mon cabinet sur mon trousseau, j’eus la première surprise de constater que j’avais également oublié de fermer la porte à clé… En me disant que j’étais décidément un bel étourdi, j’ouvris la porte. C’est ainsi que je fis face à Georges, bâillonné et ligoté sur ma chaise de bureau. Face à lui, se tenait Anita, serrant tout contre elle mon fils paisiblement endormi, tout en serrant énergiquement dans sa main droite un énorme couteau de cuisine.

T. Persons

[Du même auteur]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix
 Épisode VIII : le poids des secrets
 Épisode IX : la ligne rouge
 Épisode X : autour d’un verre
 Épisode XI : savoir dire non (partie I)
 Épisode XII : savoir dire non (partie II)
 Épisode XIII : un métier dangereux
 Épisode XIV : les idées noires...
 Épisode XV : l’effet papillon
 Épisode XVI : un état de choc
 Épisode XVII : une rencontre inopinée
 Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
 Épisode XIX : un retour à la réalité
 Épisode XX : la disparition
 Épisode XXI : l’appel à l’aide
 Épisode XXII : la déposition



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