Offre et demande, ou comment orchestrer la déshumanisation du secteur médical
Dans l’article "Je n’ai jamais vu autant de violences que dans le milieu des soins", j’évoquais la déshumanisation de la médecine actuelle. Ce phénomène est de plus en plus important et, au fil des années, les choses vont en s’empirant. Une des causes de cette déshumanisation est le glissement doctrinal de ce secteur d’une posture d’aide à la personne vers une nécessité de rendement. A mon sens, il est une autre pratique entraînant la déshumanisation du secteur : la restriction du nombre de praticiens ayant la possibilité d’exercer sur le territoire.
– [A lire] : "Je n’ai jamais vu autant de violences que dans le milieu des soins"
En d’autres termes, il s’agit du nombre de numéros INAMI délivrés chaque année aux nouveaux praticiens. Ce contingentement médical existe depuis de nombreuses années et, s’il a, par le passé, répondu à un réel besoin de régulation du trop grand nombre de praticiens, actuellement, il contribue à créer une pénurie qui semble bien artificielle.
Un manque criant de praticiens
Qui n’a jamais eu à attendre parfois 6 mois pour voir un spécialiste ? Qui n’a jamais éprouvé de difficultés à être reçu par un généraliste ? Après un déménagement, qui ne s’est jamais retrouvé dans la situation délicate de chercher un nouveau médecin généraliste, de bonne réputation et acceptant encore de nouveaux patients ? Beaucoup d’entre nous s’accorderont à dire qu’il y a un manque de médecins, de spécialistes, mais aussi parfois de généralistes, dans certaines localités.
Absence de choix
Qui dit manque, dit aussi absence de choix pour le patient. Restreindre à ce point l’accès à la profession crée en effet des pénuries artificielles. Pourtant, ce n’est pas le nombre de candidats qui manque, ni leurs compétences présumées : une sélection s’opère déjà à l’entrée des études, et tout au long du (difficile) cursus. À l’heure actuelle, est-il encore nécessaire d’ajouter un verrou supplémentaire pour accéder à cette profession d’utilité publique ?
Surenchère et pratiques discutables
Il faut dire qu’une telle pénurie encourage non seulement une certaine surenchère pour attirer les nouveaux praticiens, mais aussi permet la mise en place de pratiques parfois discutables, mais non discutées, tant la disproportion est telle entre offre et demande.
Par exemple, on citera la durée de chaque consultation, de plus en plus courte. Parfois 10 ou 15 minutes. Cela pose question : réaliser une anamnèse, parfois un examen, écouter ce que la personne a à dire, poser un diagnostic, remplir l’un ou l’autre document … En 15 minutes ?
Les patients les plus vulnérables en pâtissent le plus
Un autre exemple est le nombre accru de patients pris en charge par praticien, ou encore le morcellement des compétences. Tout ceci empêche la connaissance approfondie des situations, mais initie également un jeu de renvoi de la personne d’un spécialiste à l’autre, pour parfois passer à côté d’un essentiel diagnostic. Certains patients, parmi les moins persévérants, les moins avertis et les plus vulnérables, passent ainsi à côté de la possibilité de se soigner, faute d’être connus par leurs médecins, et de persévérer dans la longue transhumance des rendez-vous et autres examens lors desquels il faudra inlassablement répéter encore et encore son histoire à des personnes qui, parfois, ne vous écouteront que d’une oreille, les yeux posés sur un écran d’ordinateur, le chrono n’étant jamais loin.
Montrer patte blanche … aussi pour les soignants
Ne parlons même pas des cadences inhumaines imposées par le milieu hospitalier, notamment aux étudiants et assistants. Pourtant, seul un petit nombre ose s’en plaindre … Il faut dire que le risque est grand : après avoir fait tout ce chemin, qui voudrait se voir grillé dans la profession, ou voir son cursus inachevé ? C’est ainsi que l’on formate les futurs soignants … L’accès à une profession particulièrement lucrative et aux débouchés assurés n’étant garanti qu’à un tout petit nombre, autant montrer patte blanche.
MF - travailleuse social
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