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Accompagner sans s'épuiser

17/04/19
Accompagner sans s'épuiser

Nous avons tous connu cette personne : celle qui passe notre porte fréquemment, souvent pour raconter la même histoire, ou des histoires semblables. Celle qui se plaint souvent, beaucoup, qui semble trouver un problème à chaque solution. Cette personne qu’on a envie d’aider, mais qui nous épuise. Celle grâce à qui on questionne notre pratique.

[DOSSIER]
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Le burn out : un révélateur

Comme beaucoup de travailleurs sociaux, j’ai connu le burn-out. Je m’en suis sortie grâce à de longs mois de repos et de travail psychologique.

Aujourd’hui, j’ai repensé ma relation au travail afin de ne plus connaître cette épreuve.

Le burn-out a clairement des causes institutionnelles, organisationnelles, managériales. Les travailleurs sociaux n’y sont pas les seuls confrontés, même si ce phénomène est de plus en plus fréquent dans nos rangs.
Ces causes ne sont pas les seules. L’idéalisme du travailleur a aussi, parfois, sa part de responsabilité dans le cas d’un épuisement professionnel.

L’idéalisme du travailleur

Je suis éducatrice spécialisée de formation. Lorsque j’étais étudiante, nous avions tous notre côté idéaliste. Chacun à notre manière, nous voulions changer le monde, aider les plus démunis, participer à la construction d’une société meilleure. L’école dans laquelle j’ai fait mes études supérieures était aussi à l’époque fortement ancrée dans cette culture.
Mes premières années de vie professionnelle m’ont fait prendre la mesure du concret : sous-effectifs, violences institutionnelles, lassitude de certains, marchandisation du social …

Pourtant, au fond de moi, j’ai conservé un peu de cet idéalisme. Je le conserverai certainement d’ailleurs toute ma vie.

C’est poussée par cet idéalisme que je faisais ce que je croyais être le maximum pour aider les bénéficiaires, parfois en allant au-delà des limites de ma fonction, souvent en m’épuisant au passage.

Une question de méconnaissance

Force est de constater que mes efforts étaient rarement porteurs : pour l’une ou l’autre situation débloquée, combien en sont restées au point mort, faute de suivi de la part des principaux intéressés ?

Autour de moi, j’entendais de nombreux collègues évoquer l’inertie des bénéficiaires et leur nécessaire responsabilisation par nos soins. Certes. Cela me semblait cohérent, mais uniquement jusqu’à un certain point : tout le monde n’a pas les capacités et les compétences pour agir, d’où l’importance de notre travail.

Ma frustration a donc grandi … Jusqu’à ce moment où j’ai réalisé que mon idéalisme était la cause même de cette frustration. En tant que travailleuse sociale, je commettais une erreur très courante : je voulais à ce point aider les personnes que j’oubliais de prendre connaissance de leur propre niveau de connaissance du problème.

La grille des méconnaissances

C’est lors d’une formation continue que j’ai compris ce fait, pourtant évident à première vue : on ne peut pas aider quelqu’un qui n’est pas conscient qu’il a un problème de la même façon qu’on aide une personne qui a conscience à la fois de son problème et de sa capacité à agir pour le résoudre.

Cette idée, appelée Grille des Méconnaissance, est issue du courant de l’Analyse Transactionnelle.

Voici le principe de la grille des méconnaissances : face à une situation qui pose problème, tout individu est forcément dans une des quatre étapes suivantes, qui sont graduelles et présentées dans leur ordre chronologique d’apparition.
 1.Tout d’abord vous pouvez être dans l’ignorance de la situation elle-même.
 2.Puis vous pouvez ignorer son caractère problématique.
 3.Ensuite vous pouvez méconnaître la possibilité de changer cette situation.
 4.Enfin vous pouvez reconnaître la capacité d’autres à changer dans des situations similaires, mais méconnaître votre propre capacité à changer votre situation.
 5.Finalement, vous pouvez prendre conscience de votre propre capacité d’action et de changement sur votre situation.

Repenser son accompagnement

Confrontées à une même situation problématique, certaines personnes passeront très rapidement d’une étape à l’autre et mettront en place des solutions. D’autres, quant à elles, resteront au niveau des étapes 1 à 3 beaucoup plus longtemps. Certaines ne passeront jamais les étapes 4 et 5.
En tant que travailleur social, nous ne pouvons pas accompagner une personne qui est dans l’ignorance de l’existence de son problème de la même façon qu’une personne qui le connaît et est consciente de sa capacité d’action et de changement. De même, nous ne pouvons pas aider quelqu’un dans la recherche de solution (étape 5), alors que cette personne sait qu’elle a un problème, s’en plaint à nous, mais ignore que cela pourrait changer (étape 3).

La plainte sont des manifestations de la méconnaissance de la possibilité de changement. En tant que telles, les stratégies à mettre en place sont différentes de celles utilisées avec une personne consciente à la fois de son problème et de sa capacité à le résoudre.

Notre accompagnement, pour être efficace et respectueux à la fois de notre cadre de travail et du bénéficiaire, doit être cohérent avec le niveau de connaissance du problème de la personne. Nous devons lui proposer un accompagnement qui l’aide à passer d’une étape à l’autre, sans essayer d’en sauter. A ces conditions, le travailleur social accompagne efficacement et respectueusement sans s’épuiser au passage.

MF - travailleuse sociale

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