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Logement public : petite histoire de la déresponsabilisation

06/02/18
Logement public : petite histoire de la déresponsabilisation

Au fil du temps, les politiques en matière d’aide au logement pour les plus défavorisés sont passées de la création intensive de logements publics à la subsidiation des achats d’habitations. Petit bémol : la plupart des habitations acquises par des bénéficiaires d’allocations sociales se révèlent souvent à la limite de la salubrité. Les propriétaires viennent donc frapper aux portes des services d’aide, qui ne peuvent, dans la plupart des cas, rien pour eux …

Je travaille dans le secteur de l’aide à domicile. Plus exactement, dans une ASBL réalisant presque gratuitement des petits travaux (dépannages divers, etc.) chez des personnes précarisées. Comme nombre de mes collègues, j’ai de plus en plus de demandes de propriétaires, ayant acquis leur logement via des prêts sociaux et se retrouvant face à de grosses rénovations à entreprendre. Bien souvent, ils n’ont plus les moyens de consacrer le budget nécessaire aux travaux et se retrouvent dans des situations difficilement supportables … Nous aussi.

Un logement pour tous

Au début de la création des logements publics (anciennement logements sociaux), la politique à l’œuvre était clairement « un logement pour tous », à l’instar des logements ouvriers, précurseurs en la matière. Effectivement, quantité de logements, maisons, appartements, etc. furent bâtis à tour de bras, dans l’objectif de loger travailleurs pauvres, immigrés, mais aussi, et dans une proportion grandissante, allocataires sociaux.

Crise du logement public

La fédéralisation, les crises successives à partir des années 80, les mauvaises gestions endémiques, le manque de moyens et les volontés politiques changeantes font que les constructions de nouveaux logements publics sont de plus en plus rares. Qui plus est, l’entretien et les nécessaires rénovations des logements vieillissants sont, quant à eux, onéreux et compliqués, puisqu’il s’agit souvent de déplacer des familles entières.

Emergence des prêts sociaux

Face à ces difficultés, une solution s’offre aux pouvoirs publics. Au lieu de construire, rénover et entretenir de coûteux logements, ces derniers préfèrent, depuis plusieurs années, offrir la possibilité aux personnes à faibles revenus d’acquérir leur propre habitation. Le Belge a une brique dans le ventre, posséder son habitation est un rêve partagé par de nombreux citoyens. Traditionnellement, l’Etat soutient l’acquisition de son habitation, notamment via des incitants fiscaux. Ces derniers ne profitant pas aux personnes les plus précaires, des prêts sociaux ont été mis en place.

En phase avec la réalité du marché ?

Le montant maximum empruntable avoisine les 200.000€, les intérêts sont réduits et les mensualités plafonnées en fonction des revenus. En théorie, cette solution est « gagnant - gagnant » : l’Etat récupère son investissement et le problème du logement des plus précaires est résolu. Le problème de ce système est qu’il ne tient pas compte de la réalité du marché immobilier. En effet, partant du principe que les ménages concernés n’ont pas, ou peu d’épargne, la somme de 200.000€ doit pouvoir couvrir l’achat du bien, mais aussi les frais liés et les rénovations éventuelles. La possibilité d’acquérir un logement décent à ce prix diminue donc fortement en ce qui concerne les familles … Sachant qu’elles sont les plus touchées par la crise du logement, cela laisse songeur.

Les familles sont défavorisées

Pour obtenir un tel prêt, il faut bien entendu répondre à des critères et remplir des formalités plus ou moins chronophages. Et attendre une réponse … Le risque existe donc, pour le candidat, de voir la réelle bonne affaire lui passer sous le nez. Concrètement, si une personne seule ou un couple avec un enfant peut encore espérer s’en sortir et trouver un logement convenablement isolé et relativement en ordre pour ce montant, ce n’est pas le cas des familles de plus de deux enfants, même si le montant maximum empruntable est, dans ce cas, légèrement majoré.

Rénovations inattendues

Bien entendu, le logement acheté doit répondre aux critères de salubrité. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura aucune rénovation à y effectuer. C’est là que les demandes d’aides aux services sociaux et aux associations commencent … Et que les personnes déchantent. D’une part car en devenant propriétaires, ils perdent, de facto, l’accès à toute une série d’aides réservées aux locataires. D’autre part car bien souvent les rénovations s’avèrent plus conséquentes que prévues.

Un vide au niveau des aides

L’accession à la propriété est certes un rêve partagé par beaucoup, mais dans certaines situations, ce n’est pas la meilleure solution. La plupart des aides concernant l’amélioration du domicile sont réservées à des locataires en situation de précarité et se rapportent à de petites interventions. Notre système aide peut-être les personnes en situation précaire à acquérir un logement, mais une fois qu’elles y sont, c’est une autre paire de manches …

Travailleurs désemparés

Je reçois très souvent des demandes de « propriétaires pauvres », ayant récemment fait l’acquisition d’un logement en plus ou moins bon état et persuadés de pouvoir être aidés dans leur parcours de rénovations. Malheureusement, c’est rarement le cas. Les petites ASBL ne sont ni outillées, ni assurées, ni compétentes pour effectuer de la rénovation lourde et bien souvent, un second prêt, même à taux zéro, s’avère impossible pour les familles concernées. J’accueille donc des personnes moins bien loties après leur accession à la propriété et dont la situation ne risque pas de s’améliorer. Face à cela, je suis impuissante. L’ensemble du secteur l’est.

MF, travailleuse sociale

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