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Le bulletin social : "Lettre ouverte aux étudiants"

02/02/21
Le bulletin social:

Alors que l’on entend de plus en plus le murmure d’acteurs de terrain interpellés par la détresse d’étudiants sacrifiés au nom d’une volonté de maîtriser la crise sanitaire, l’écho de ces voix vient se perdre dans l’annonce d’une imminente troisième vague… Une lettre ouverte de T. Persons.

« Si j’avais dû rester en télétravail depuis le 13 mars, j’aurais vraiment eu du mal. »

G.-L. Bouchez (2021)

Cher·e étudiant·e,

On ne se connait pas ou peu. Tu as été malmené·e ces derniers mois, voyant ta vie étudiante réduite à celle d’un moine reclus, la bière trappiste en moins. On t’a cloîtré·e entre deux syllabus et un ordinateur, tout en se disant que tu étais vecteur d’un virus, vil·e coquin·e. Fourbe que tu es, on s’est dit que tu n’étais certainement pas capable de respecter des règles d’hygiène élémentaires. On t’a coupé·e de tes liens sociaux, de tes libertés, de ton droit à la légèreté, à la curiosité, à l’amour, à l’ivresse, à la culture… Et on s’étonne qu’à l’heure actuelle, tu ne vas pas bien.

Tu me demanderas, c’est qui ce « on » ? Le « on », c’est moi, en tant que psychologue qui, malgré le fait d’être au clair avec l’impression que les règles imposées aux étudiant·e·s étaient drastiques et fondamentalement injustes, n’a pas suffisamment bougé ou alerté l’opinion publique. Tu me diras : oui, mais quand même, ça fait un bout de temps que les psy envoient des feux de détresse à nos Élus ? Certes, mais on n’a certainement pas fait assez. On a cru qu’ils pigeraient et pour ça, on ne peut qu’être profondément désolés.

Le « on », c’est l’opinion publique qui t’a pointé du doigt. Saloperie de gamin·e infoutu·e de respecter les règles ! On t’a fait porter la responsabilité d’une propagation incontrôlée. La courbe qui monte, c’était toi ! Bouc-émissaire des générations qui auraient pu se mettre à ta place avec un peu moins d’anxiété et un peu plus d’empathie, tu as le droit et le devoir d’être en colère. On t’a stigmatisé·e, faisant de toi un stéréotype que tu n’es pas, alors que nous-mêmes, étions bornés à nous battre pour du papier toilette, des masques ou des pâtes.

Le « on », c’est le politique qui, à coup de communication foireuse, t’a sapé·e le moral, petit à petit, flirtant sur un discours changeant, empreint de doubles contraintes. Si ta mère était le politique, tu serais certainement schizophrène. Il t’a dit que c’était pour ton bien, sans finalement se soucier de ce qu’étaient tes besoins, tout en s’accordant leurs propres privilèges, en toute impunité. On t’a instrumentalisé·e, on t’a sali·e, on t’a sacrifié·e, te considérant comme une vulgaire soupape sur laquelle on peut jouer pour faire diminuer des chiffres alarmants.

Notre seul espoir pour un monde meilleur

Et comme si ce n’était pas suffisant, alors que tu as vu les mois défiler, comme une vache voit passer les trains, sans te rebeller, tout en t’enfonçant petit à petit dans la résignation, on va certainement t’annoncer que ce n’est pas suffisant, qu’il faut maintenir le cap, serrer les dents, fournir encore un petit effort, tout en espérant que cela passe sans faire trop de remous. Après tout, c’est pas comme si t’étais obligé de travailler, feignasse !

Bref, nous ne te méritons pas. Alors que tu représentes notre seul espoir pour un monde meilleur, nous te négligeons. Nous sommes ni plus ni moins qu’une bande de cons irresponsables et j’espère que tu nous le feras payer au centuple. Ne sois pas conciliant. Il ne faut pas nous pardonner. Il faudra nous juger sévèrement quand toute cette folie sera derrière nous. En attendant, j’espère qu’on va arrêter de te promettre quoi que ce soit. Je souhaite que l’on prenne conscience de l’ignominie qu’on te fait subir, moi le premier. Ce n’est malheureusement pas la fin et je crains fort que ces prochaines semaines ne te démontrent toute l’étendue de notre bêtise. Soit, prends en bonne note. Ne deviens pas la médiocrité que nous incarnons. Parle, explose, hurle, fais nous savoir que tu souffres. On a besoin de l’entendre, à tout prix.

T. Persons

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