Réhumanisons nos administrations

En tant que travailleuse sociale, j’accompagne parfois des bénéficiaires pour certaines démarches administratives. Ce sont d’ailleurs des choses que nous faisons régulièrement. En tant que citoyens, nous sommes souvent amenés à nous rendre dans ces mêmes administrations et il faut reconnaître que c’est rarement un passage agréable. Là où les choses se corsent, c’est lors de moments délicats, traumatisants, ou parfois, simplement difficiles, et que l’administration, loin de faciliter la chose, y ajoute un parcours du combattant, souvent déshumanisé.
Je pense à ces parents qui perdent un enfant, à ces femmes victimes de violences familiales, à ces personnes victimes d’agressions, de cambriolages, de dégradations, etc. Ce sont des événements difficiles, traumatisants pour certains, et les parcours administratifs qui y sont liés sont parfois inutilement complexes, le langage usité et la froideur des courriers ajoutant à l’incompréhension. Quand ce ne sont pas les interlocuteurs qui affichent une attitude à la limite de la violence, tant elle est désincarnée.
Inefficacité et désœuvrement
Je pense à ce service aux citoyens qui est parfois d’une lenteur abominable, à ces gens qui attendent patiemment leur tour, à ces fonctionnaires souvent désœuvrés, qui manquent de travail et d’outils efficaces. Je pense à ceux qui veulent travailler de manière efficace et en sont souvent découragés. Je pense à ces ressources dilapidées, mal utilisées, à ces recrutements et contrats publics sous forme de copinage. Je pense à ces postes crées sans réelle utilité. Je pense à ces élus qui pensent à leur réélection.
Loin du citoyen
Je pense à ces personnes qui ne parlent pas assez bien notre langue, et qui ne comprennent pas ces subtilités qui, je l’avoue, bien souvent m’échappent également. Je pense à ces courriers kilométriques et abscons qu’il faut relire trois fois avant de passer la main à un spécialiste qui saura les décrypter. Je pense à ces sites internet peu intuitifs qui remplacent un peu trop les guichets. Je pense aux personnes âgées, à celles dont la mobilité est réduite et qui doivent se balader de bureau en bureau, ouverts durant des plages horaires de moins en moins larges.
Être humain avec bienveillance
Je pense à ces interlocuteurs qui, parfois, oublient qu’ils sont humains avant d’être fonctionnaires, et qu’ils s’adressent à leurs semblables, parfois en grande détresse. Je pense décidément qu’un peu de gentillesse et de bienveillance rend la vie plus douce, aussi bien pour celui qui la reçoit que pour celui qui la donne. Je pense à l’exemple de ce préposé, agacé que nous ayons osé nous présenter à 12h15 pour déclarer un vol avec effraction, alors que le commissariat est ouvert sans interruption à midi et que, parfois, cette plage horaire est la seule possible. Je me dis que d’autres auraient tourné les talons et que des plaintes, certainement bien plus graves, ne sont jamais déposées pour de telles raisons.
La vingt-cinquième heure
Je pense à la vingt-cinquième heure, et je me dis qu’on y est : notre administration nous réinvente et nous broie. Non seulement ceux qui y travaillent, à coups de procédures limitantes et parfois absurdes, de mises au placard de bons éléments dont l’ombre brille un peu trop et de formatages un peu trop efficaces, sur fond de ressources mal employées. Cela ne s’arrête pas là : notre administration broie aussi ceux qui y ont recours, à savoir tous les citoyens.
MF - travailleuse social
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