UNE AUTRE VIE DE PSY - Épisode V : à l'hôpital...

Il peut être violent d’être confronté à la réalité médicale d’un hôpital. T. Persons vous propose de s’y attarder, le temps d’un épisode de sa vie ardente.
- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -
Face à un cruel manque de confiance en moi, j’ai toujours eu tendance à lutter contre ma nature pessimiste et négative. Par exemple, cela faisait un mois que, tous les matins en me brossant les dents face au miroir de ma salle de bain, me regardant droit dans les yeux, je faisais l’exercice de me projeter positivement dans ma journée. Aujourd’hui, qu’allais-je faire de bien ? À peine avais-je attaqué les molaires que John Fante résonnait dans ma tête : « C’est le matin, alors lève-toi, Arturo, et va chercher du boulot. Va chercher au-dehors ce que tu ne trouveras jamais. Tu es un voleur, un tueur de crabes, un amoureux des femmes dans les placards à vêtements. Tu ne trouveras jamais de travail ! ». Bref, c’était loin d’être un succès.
Puis, il y a eu ce coup de fil et depuis, c’était la voix de la directrice des ressources humaines qui passait en boucle dans mes pensées : « Si les différents chefs de service d’oncologie donnent leur approbation, vous pouvez commencer au début du mois prochain ». J’allais donc jouer ma place lors d’un entretien avec plusieurs médecins. Avant tout, je me suis demandé comment cinq médecins - certes brillants dans leur domaine d’expertise - pouvaient juger de ma compétence, alors que déjà entre psy, on n’est pas fichu de savoir le faire. Il était évident que l’on allait faire tout sauf évaluer mes qualités professionnelles... J’imaginais bien qu’on scruterait ma sympathie, mes connaissances sommaires en oncologie, mon aptitude à montrer que je peux être une personne ô combien empathique et ma capacité à dénoncer toute pratique psychologique qui sort de l’evidence-based.
Je m’étais donc préparé. J’avais piqué toutes les brochures explicatives aux patients. Les adénocarcinomes, leucémies aigues ou chroniques, myéloïdes ou lymphoblastiques ainsi que les traitements hormonaux, chimio et radiothérapies n’avaient plus de secret pour moi, si l’on restait bien évidemment en surface. Pourtant, au moment de rentrer dans l’hôpital pour mon rendez-vous, quelque chose avait changé. En effet, en parcourant les différents fascicules que l’on distribuait aux patients atteints de cancer, quelque chose m’avait frappé : il y avait peu ou pas de place pour le psychologique. Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille…
« Vous en pensez quoi de l’hippothérapie ? »
Soit, en serrant la main de Madame Corrès, la directrice des ressources humaines, le sentiment de honte du dernier entretien revint. Je le refoulai au plus profond de ma mémoire et la suivis pour entrer dans une sorte de salle où trônait une longue table avec de nombreuses chaises. Il n’y avait qu’une personne, petite, nerveuse, qui attendait en bout de table, signifiant qu’elle voulait présider. Elle se présenta comme étant le Docteur Merceau, coordinatrice des soins en oncologie. Au début, elle me parut fort sympathique jusqu’à ce que je compris qu’elle parlait pour remplir le vide. Le silence lui faisait certainement peur. Pour ne rien enlever à sa prestation, elle parla durant plus d’une demi-heure, le temps de combler le retard des autres médecins qui, nonchalamment, arrivèrent sans même se présenter. J’avais le sentiment d’être une sorte de bête de foire, tant on me dévisageait. Au bout d’une heure d’entretien, j’avais compris ce qui se tramait. S’il n’y avait pas de place pour le psychologique dans les brochures, il y en avait encore moins dans la vie de mes futurs collègues. Et de fait, je pouvais les comprendre, ils avaient d’autres choses à faire avec le peu de moyens qu’ils avaient. Deux équivalents temps plein subsidiés qui arrivaient sur le compte bancaire de l’hôpital, c’était une coquette somme. Et voilà qu’ils étaient dans l’obligation de les utiliser pour recruter deux psychologues. Or, visiblement, ils ne savait pas vraiment quoi en faire… Il n’y eut donc pas de questions de leur part. Néanmoins, de son côté, le Docteur Merceau n’en finissait pas d’étaler son enthousiasme dans toute la pièce jusqu’à ce qu’elle me pose une question que je n’avais pas envisagé :
— Et sinon, vous en pensez quoi de l’hippothérapie ?
— …
Je dois l’avouer, je m’étais attendu à tout, sauf à ça. J’avais regardé de biais un des médecins présents, qui avait d’abord levé son sourcil gauche avant de fermer les yeux et d’expirer calmement.
— Heu… C’est-à-dire que je ne suis pas vraiment formé… Mais heu oui, par rapport à certains troubles de l’autisme, on a remarqué que…
— Non ! me coupa-t-elle. Je veux parler des implications en oncologie. Il y actuellement plein de thérapies alternatives à essayer. C’est important que vous soyez ouvert à l’acupuncture, l’art-thérapie, la sophrologie, l’hypnose, les coupeurs de feu…
— Les quoi ? lui demandai-je spontanément.
— On va pas revenir avec cette histoire maintenant, Annie… répondit sèchement un des médecins qui pianotait sur son téléphone.
C’est à ce moment que la directrice des ressources humaines reprit la main et demanda si quelqu’un d’autre avait une question. Le silence fut maître. Au bout de cinq minutes, j’étais dehors sans savoir réellement ce qui m’attendait. C’était ma première expérience avec le monde de l’hôpital, son énergie, ses enjeux, ses codes, ses réunions. C’était violent et lorsque l’on m’appela pour me dire que j’avais été choisi, ma première réaction fut de taper « coupeur de feu » dans Google… Je l’ai amèrement regretté.
T. Persons
[La première saison]
– Épisode I : la nouvelle demande
– Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
– Épisode III : de l’art de la supervision
– Épisode IV : un heureux hasard
– Épisode V : le nouveau venu
– Épisode VI : une coïncidence douteuse…
– Épisode VII : une question de choix
– Épisode VIII : le poids des secrets
– Épisode IX : la ligne rouge
– Épisode X : autour d’un verre
– Épisode XI : savoir dire non (partie I)
– Épisode XII : savoir dire non (partie II)
– Épisode XIII : un métier dangereux
– Épisode XIV : les idées noires...
– Épisode XV : l’effet papillon
– Épisode XVI : un état de choc
– Épisode XVII : une rencontre inopinée
– Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
– Épisode XIX : un retour à la réalité
– Épisode XX : la disparition
– Épisode XXI : l’appel à l’aide
– Épisode XXII : la déposition
– Épisode XXIII : et soudain, la lumière…
– Épisode XXIV : l’amour fou
[La deuxième saison]
– Épisode I : en thérapie...
– Épisode II : l’art de coller des étiquettes
– Épisode III : au chômage...
– Épisode IV : prêt à l’emploi...
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