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UNE AUTRE VIE DE PSY - Épisode VI : le premier jour…

24/02/20
UNE AUTRE VIE DE PSY - Épisode VI : le premier jour...

On se souvient tous de nos premières fois. Dans cet épisode de la vie raboteuse de T. Persons, il revient avec émoi sur sa première journée de psy à l’hôpital.

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

On vit dans un siècle où tout va très vite… Trop vite. C’est en tout cas la réflexion que l’on se faisait avec mon ami Augustin, autour d’une bière, dans un café quelconque du centre de Bruxelles. Le lendemain, je commençais une nouvelle vie avec un job inédit, une fonction inconnue et des habitudes à changer. Alors que mon pote tendait à m’expliquer, schémas de jeune loup d’entreprise à l’appui, que l’ Empowerment était la clé pour aborder mon futur boulot, j’avais juste envie de noyer son discours dans ma Triple Karmeliet tant les concepts d’Autonomie, de Vision ou d’Appropriation me parlait autant que le ferait la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel à un adepte du roman de plage.

S’adapter au changement et faire face à l’inconnu… J’allais lentement mais sûrement vers mes 40 ans… Idéalement, lorsque j’étais plus jeune, je m’imaginais à cet âge semblable à un héros de Jules Vernes, sans l’embonpoint de Phileas Fogg, ni les favoris d’Otto Lidenbrock ou le tempérament tempétueux de Ned Land, mais avec le courage, la détermination et la confiance en soi d’un explorateur. Finalement, j’avais l’impression qu’à l’heure actuelle je n’avais jamais été aussi loin de leur ressembler. J’avais peur, et ce n’était pas les galimatias d’Augustin qui allaient me rassurer… Je ressentais ce nouveau départ comme une dernière chance… Si je n’arrivais pas à rentrer dans le moule d’une institution, ni à travailler en cabinet comme indépendant, il ne me restait plus qu’à traîner ma carcasse en entreprise pour y prêcher des concepts qui sonnent creux mais qui font jolis sur un Power Point. C’était bien évidement exclu.

C’est donc la boule au ventre que je suis arrivé pour mon premier jour dans cet immense hôpital. J’ai été chaleureusement accueilli par Madame Corrès, la directrice des ressources humaines, qui me fit remplir une tonne de papier et me remit ma carte d’accès. Puis, elle m’accompagna jusqu’au quatrième étage, sortit de l’ascenseur, prit trois couloirs différents, ce qui me laissa le sentiment qu’il me faudrait un plan pour éviter de me perdre dans les dédales de ce labyrinthe. Elle marqua ensuite une pause devant une énorme double porte fermée. Il y trônait une pancarte indiquant que l’on franchissait le seuil du service d’oncologie-hématologie. Madame Corrès me sourit et me demanda si je pouvais déposer ma carte sur la serrure magnétique afin de voir si elle était fonctionnelle. Un bref cliquetis nous indiqua que tout était en ordre. En ouvrant la porte, je fus parcouru d’un sentiment étrange : les odeurs, la chaleur, le bruit, tout semblait en effervescence mais surtout en contradiction avec le petit panneau qui, à l’entrée, me souhaitait ironiquement la bienvenue.

On n’est jamais trop habitué à marcher dans un couloir d’hôpital. Trop lentement, on ressemble à un touriste. Trop rapidement, on annonce un danger. J’étais là, à me dire qu’il fallait que j’adapte mes pas sur celui des autres quand je vis une personne immobile, toute de blanc vêtu, les bras croisés dans une attitude de défiance, tel Gandalf le Gris m’annonçant que je ne passerai pas. Je l’ai vite compris, même si je n’avais pas vraiment de ligne hiérarchique claire dans mon organigramme, j’avais face à moi le taulier : Héline, la chef infirmière.

"Le problème ? Je ne suis pas un acteur."

Elle avait la poigne solide et le sourire figé. Madame Corrès me présenta et décida assez rapidement de s’éclipser en prétextant « me laisser entre de bonnes mains ». Héline me toisa durant quelques secondes avant de me dire d’un air narquois : « Alors comme ça, c’est toi le psychologue ? ». J’avais exactement trois secondes pour trouver la saillie idéale qui lui ferait perdre la sensation que je ne servais à rien. Trois secondes, c’est peu et généralement, les seules répliques qui me viennent en tête dans ce type de situation sont issues de la Cité de la Peur… Soit, je la regarda avec un grand sourire, ne sachant que dire, voulant paraître détaché, usant un silence de connivence. Le problème ? Je ne suis pas un acteur. Disons-le simplement : à côté de ma prestation, Ben Affleck pourrait prétendre à un Oscar pour son jeu dans Pearl Harbor. J’étais gêné, ça se voyait et pour couronner le tout, je crois qu’Héline n’en avait strictement rien à faire. Elle tourna les talons, me laissant seul, dans le couloir, comme un con.

À ce moment précis, j’avais envie de chialer, de tout abandonner, de me dire qu’en fait, ce métier n’était pas fait pour moi. Puis, vint la voix de la raison : avais-je réellement envie de donner une image pareille à mon fils ? Non… Je me fis donc violence et m’approchai du bureau vitré des infirmières. La porte était fermée, mais peu importe. Je frappai délicatement avec mon poing, j’ouvris la porte et dis : « Salut, je suis le psychologue… ». Il y avait trois infirmières affairées sur un ordinateur, ou dans un chariot à médicaments et puis il y avait Héline et son rictus. J’eus droit à un sourire et à un demi-bonjour. Puis, plus rien. Il y avait une chaise vide dans un coin. Je me suis assis et j’ai attendu…

Enfin, au bout de 30 minutes, une infirmière rentra dans la salle, et sans me voir, elle dit : « Putain, la 406, elle est ingérable, là ! ». C’était le moment, c’était l’instant, je me suis levé, j’ai regardé la chef infirmière dans les yeux et je lui ai dit : « Je peux aller voir ? ». Elle a haussé les épaules. Ça ne tenait qu’à un fil, mais j’avais son consentement. Si on avait été dans un film, une musique pop avec un riff de guitare un peu gras se serait mise à sonner, pour aussi vite disparaître en me voyant faire demi-tour et passer ma tête dans le bureau pour demander, l’air ahuri : « Heu… C’est où la 406 ? ». Bref, c’était loin d’être gagné…

T. Persons

[La première saison]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix
 Épisode VIII : le poids des secrets
 Épisode IX : la ligne rouge
 Épisode X : autour d’un verre
 Épisode XI : savoir dire non (partie I)
 Épisode XII : savoir dire non (partie II)
 Épisode XIII : un métier dangereux
 Épisode XIV : les idées noires...
 Épisode XV : l’effet papillon
 Épisode XVI : un état de choc
 Épisode XVII : une rencontre inopinée
 Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
 Épisode XIX : un retour à la réalité
 Épisode XX : la disparition
 Épisode XXI : l’appel à l’aide
 Épisode XXII : la déposition
 Épisode XXIII : et soudain, la lumière…
 Épisode XXIV : l’amour fou

[La deuxième saison]

 Épisode I : en thérapie...
 Épisode II : l’art de coller des étiquettes
 Épisode III : au chômage...
 Épisode IV : prêt à l’emploi...
 Épisode V : à l’hôpital...



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