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Le bulletin social : "Travailler dans le non-marchand est-il vecteur de sens ?"

23/03/21
Le bulletin social:

À l’heure où de nombreuses personnes seraient tentées par une reconversion professionnelle dans le champ du travail social, T. Persons nous livre son avis sur la question du sens dans le non-marchand.

 Notre rubrique "fiche métier" dédiée aux professions de la santé et du social

« C’est la majorité ! Laquelle d’abord ? Celle qui pensait que la terre était plate ? Celle qui est pour la peine de mort ? Ou bien celle qui se met une plume dans le cul parce que c’est la mode ? »

J-P Bacri (Cuisine et dépendances)

Il faut que je vous le confesse, cette semaine, j’ai craqué. C’était ce mercredi avec mon patient de 15 heure. Il était là, le teint aussi pâle que les fesses d’un curé, l’air épuisé par un travail insignifiant dans une grande entreprise bancaire à me renvoyer avec un petit sourire satisfait qu’il avait trouvé une piste pour aller mieux : se reconvertir dans un travail qui a plus de sens. De ma petite expérience, c’est là où je dois me contenir parce qu’a priori, deux options peuvent jaillir dans la bouche de mes patients : soit ils veulent devenir coach de vie pour empêcher d’autres collègues de tomber dans l’écueil de l’épuisement professionnel, soit ils m’expliquent, avec autant de conviction que Marion Cotillard quand elle meurt dans un blockbuster hollywoodien, qu’ils aimeraient travailler dans le social, faire quelque chose d’utile à la société, aux autres. Retrouver du sens, là où on l’a perdu, en somme.

Dans ce cas précis, mon patient, dans sa quête de sens, s’est pris à vouloir travailler dans le non-marchand, dans l’associatif, dans le social, voire même dans l’enseignement. D’habitude, je suis réflexif, je vais creuser pour voir ce qui se cache derrière ce besoin d’être utile. Souvent, on fait le procès des parents, on met en lumière ce désir ardent de briller dans le regard de l’autre et au bout du compte, le patient s’en sort apaisé, sans devenir coach. Bref, dans ce cas précis, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander : mais, finalement, ça vient d’où ce sentiment que le non-marchand est porteur de sens ? Ah, et bien, je ne sais pas, m’a-t-il dit. C’est ce que la majorité des gens me disent. Une belle fausse croyance, en soi… En effet, ce n’est pas parce que la prostitution est le plus vieux métier du monde, qu’il est vecteur de vocation. Or, pour le travail social, il y a quelque chose de l’ordre du sacré : ça a du sens.

Lire aussi : Travailleur social : retrouver le sens premier de notre métier

Le non-marchand, une planche de salut ?

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Loin de moi l’idée de dire que le travail dans le social, ce n’est pas utile ou nécessaire. Je reste même persuadé qu’il est primordial. Par contre, croire que le non-marchand est une planche de salut pour tous les Account Senior Digital Advisor et les Dolby Surround Agile Officer en quête de spiritualité et de découverte de soi, est une croyance à laquelle il faut tordre le cou.

Non, travailler dans le social, être sous-financé, sans moyens, avec des contrats précaires tout en étant accroché à des subsides, cela n’a pas de sens. S’épuiser à vouloir faire une différence pour un salaire de misère, non reconnu, cela n’a pas de sens. Se donner à fond dans un climat anxiogène où les enjeux politiques sont aussi nombreux et improbables que les cheveux de la tignasse de René Higuita, cela n’a pas de sens. Devoir se battre contre des stéréotypes qui ont la vie dure, ça n’a pas de sens, surtout lorsqu’ils sont amplifiés par des chefs de parti qui communiquent allègrement qu’il faut sanctionner les racailles parce que le laxisme, ça ne fonctionne pas. Travailler dans le social, c’est utile, mais c’est épuisant, comme tout secteur où il faut lutter pour survivre. Donc, croire que l’on va arriver dans le non-marchand comme le saxophone dans une chanson de Bruce Springsteen, c’est un beau cliché, un doux rêve, une amère désillusion.

En conclusion, certes, j’ai brisé l’élan d’un patient d’une manière peu délicate, en faisant un constat alarmant : le non-marchand n’a pas de sens tant qu’on ne lui donne pas les moyens de se déployer. En attendant, il reste le coaching. Ou alors, la politique. Là, ça n’a pas vraiment de sens non plus, mais par contre, on risque beaucoup moins de finir en burnout.

T. Persons

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