Mon psy en ligne

La pratique de la psychothérapie en ligne prend de l’ampleur. Outre les échanges de courriels et autres forums de discussion, on peut maintenant véritablement suivre sa thérapie à distance et vivre en vidéoconférence ses séances psychologiques. Si le phénomène connait un véritable essor, reconnaissons que les conséquences de ce nouvel accompagnement restent fort peu pensées sur le plan théorico-clinique. Ce qui semble problématique à plus d’un titre.
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C’est facile
Les avantages du psy en ligne sont évidents. Tout est facile : la prise de rendez-vous, le paiement, le trajet inexistant (pas d’embouteillages) … Sur les sites ad hoc, tout est transparent : on peut voir la photo de son psy, connaître son âge, sa spécialité, s’assurer de ses disponibilités, bref on se sent comme au supermarché (ou sur un site de rencontre ?) : c’est confortable ! Alors, consulter en ligne, c’est la panacée ? Pas sûr…
Un produit ou une relation
Même si les avantages sautent aux yeux (pratiques, économiques, psychologiques, physiques ou géographiques), d’autres conséquences inhérentes à cette pratique ne peuvent se balayer d’un geste. A choisir sa thérapie comme un produit, avec sa « fréquence d’achat », ses « commodités », on pourrait perdre, ou modifier, l’essentiel d’une consultation en présentiel : la relation thérapeutique, l’alliance, le cadre, le transfert, et bien d’autres choses encore. Tous ces éléments sont irrémédiablement transformés par la machine, par l’absence de ce « corps à corps », de ce face à face particulier, nu, aigu de deux personnes dans la même pièce qui se parlent.
Un transfert particulier
La machine est là et colore indubitablement le transfert. Il y a d’abord cet espace qui n’est pas le même pour les protagonistes : la technologie les met en contact, certes, mais par le truchement de l’écran. La perte est immense. On le sait, en séance, on accueille le patient, on lui serre la main, on l’invite à s’asseoir. L’impalpable prend sa place, une ambiance, une impression, une nervosité corporelle, un pied qui se balance, une main qui se crispe, une odeur, ces petits riens qui tissent dans l’ici et maintenant la trame d’une alliance particulière à laquelle participent deux voix, deux corps, deux psychés.
Et le petit Prince ?
La démarche qui précède le rendez-vous a elle aussi son importance. Le choix du moment, le trajet, parfois les quelques minutes d’attente puis la porte qui s’ouvre, le premier regard, le déplacement des corps, l’installation. Oui, tout cela a pris du temps. Vous avez pris du temps pour venir me voir. Vous avez affronté le trafic, vous avez cherché une place, vous avez marché, vous avez sonné à ma porte, vous êtes entré. Tout cela a un sens. Comme nous le rappelle Saint-Exupery, « c’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante ».
Tout sauf anodin
La consultation n’est pas un simple service entre un client et un prestataire. Un écran n’est pas qu’un moyen efficace pour se parler à distance. Une alliance n’est pas indemne quand elle se construit via une médiation technologique. Les possibilités techniques existent et permettent l’innovation thérapeutique. A condition qu’elle soit pensée avec la rigueur clinique indispensable, à condition que les bouleversements thérapeutiques ne soient pas balayés d’un revers de main mais interrogés avec rigueur pour juger de leur éventuelle pertinence ou nuisance. A penser, profondément, de toute urgence, par ces « innovateurs ».
D.B., psychologue
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