Travailleurs sociaux indépendants : vers un système social à deux vitesses ?
Ces derniers temps, j’ai eu l’occasion de lire, ou d’assister à des polémiques autour de l’existence de travailleurs sociaux indépendants. Un des principaux arguments en défaveur de ce statut, c’est la création d’un système social à deux vitesses. Sauf qu’on y est déjà. Et depuis longtemps. Et que ce n’est pas du fait du travailleur…
Notre monde politique désinvestit le social depuis des décennies. Il n’y a qu’à voir la diminution drastique de certains subsides, les conditions d’accès pour y prétendre, le manque de renouvellement des postes, le fait que de plus en plus d’emplois sont subsidiés uniquement de manière temporaire, ou encore la politique de contrôle social dans laquelle nombre d’institutions se voient contraintes de travailler. Sans parler du fonctionnement par projets, et donc à court terme, en fonction de la mode du moment. Si à cela on ajoute le faible niveau de rémunération des travailleurs et l’inadéquation entre études et terrain, on peut se faire une idée générale de la situation.
– Lire aussi : Assistantes sociales indépendantes : "Pour retrouver l’essence de notre métier"
Les conséquences concrètes du désinvestissement du social
Penchons-nous un peu sur les conséquences concrètes de tout cela. Dans certaines institutions, comme les centres de réadaptation fonctionnelle, il y a un délai d’attente de parfois plus d’un an pour une prise en charge. On parle ici d’une prise en charge de type psychiatrique, pour des personnes qui sont prêtes à entamer un processus de réinsertion.
Toujours en psychiatrie, la pression sur les hôpitaux les force à réduire au maximum la durée des séjours, parfois sans possibilité de mise en place immédiate d’un suivi, toujours en lien avec ces fameux délais d’attente. Les CPAS sont parfois tellement débordés qu’ils ne peuvent répondre aux demandes de RIS dans un délai inférieur à un mois, quand tout va bien. Ici, on parle de moyens de subsistance.
Délais d’attente incroyablement longs, pressions et tutti quanti
Des exemples comme ceci, il y en a à la pelle. Combien de travailleurs sociaux ont tellement de dossiers à suivre qu’ils ne connaissent plus les situations des personnes derrière les dossiers ? Notre système social au sens large est déjà à deux vitesses, voire plus que ça. La personne qui désire, ou qui a besoin d’un suivi psychologique et qui en a les moyens, ira voir un psychologue indépendant plutôt que d’attendre de longs mois sur la liste d’attente d’un planning familial ou d’un centre de santé mentale. Idem pour les suivis médicaux par des spécialistes : les délais d’attente sont deux à trois fois inférieurs au sein de leur cabinet privé qu’à l’hôpital.
Le système à plusieurs vitesses existe déjà
Des parents d’enfants atteints de lourds handicaps doivent parfois attendre des années pour obtenir une prise en charge en institution spécialisée, s’ils l’obtiennent. En attendant, certaines familles n’ont d’autre choix que de réduire leur temps de travail pour assurer les soins particuliers et offrir les meilleures conditions de vie possible à leur enfant, s’appauvrissant au passage et entrant dans une spirale souvent délétère.
A côté de cela, certains fonctionnaires européens reçoivent gratuitement, via leur employeur, les services d’un logopède indépendant pour leur enfant, afin que ce dernier, qui en a besoin, puisse être accompagné à l’école. N’est-ce pas là un système social à deux vitesses ? Est-ce la faute du logopède qui a l’occasion d’offrir une qualité de travail inouïe à cet enfant, tout en s’offrant à lui-même des conditions de travail plus que confortables ?
Les mentalités changent aussi chez les travailleurs
Que les jeunes générations de travailleurs sociaux n’aient plus envie d’essuyer les plâtres et ne croient plus en la révolution sociale est compréhensible. Au cours des dernières décennies, le monde politique a plus qu’annoncé la couleur de la valeur du social et de sa place au sein de notre société. Notre société est également, par la force des choses, devenue de plus en plus individualiste et, avec les pressions qui pèsent sur les individus, que des personnes fassent le choix de l’indépendance pour s’épanouir dans leur métier tout en répondant à une demande est loin d’être étonnant. En réalité, c’était même prévisible. Ils ne créent pas un système social à deux vitesses, ils sont la conséquence du désinvestissement du social par l’Etat qui a, de ce fait, lui même créé un système social à plusieurs vitesses.
MF - travailleuse sociale
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