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Que pouvons-nous faire face aux émeutes ?

03/04/18
Que pouvons-nous faire face aux émeutes?

Les incidents qualifiés d’émeutes sont toujours l’occasion de sorties politiques et de grandes déclarations médiatiques. Là où certains ne voient que pillages et destruction gratuites, il faut peut-être y voir des résistances, des réactions et un manque de perspectives pour les citoyens.

Récemment, à Bruxelles, 3 événements ont reçu un écho auprès des médias et des politiques qui les ont qualifiés d’émeutes. Il faudrait s’interroger sur la raison qui pousse des adolescents, des jeunes adultes et des adultes, à exprimer leur colère par la violence. C’est d’autant plus interpellant que les 3 moments censés avoir provoqué les émeutes sont sans rapport entre eux (un match de foot, la visite d’une célébrité et un rassemblement politique). Les incidents ne sont pas à mettre en lien avec les événements. Ils sont l’écho du sentiment qu’ont certains citoyens de ne pas être écoutés et de ne pas avoir les mêmes droits que les autres.

En tant que travailleurs pédagogique, social ou éducatif, nous ne sommes pas responsables des actes posés par les citoyens que nous accompagnons. Cependant nous devons être en mesure d’écouter les personnes que nous rencontrons. Bien qu’il soit légitime (et indispensable) de refuser toute forme de violence, celle-ci est souvent l’expression d’un mal-être, d’une colère ou d’un sentiment d’impuissance. Il est de notre responsabilité de répondre aux besoins et aux demandes que nous identifions ou recevons. Si nous ne pouvons y répondre directement, nous devons faire remonter nos constats aux pouvoirs publics.

Lorsque je travaillais en rue, j’ai été confronté à des situations où je ne me sentais légitime ni pour condamner les actions ni pour les justifier. En tant qu’éducateur de rue je ne suis pas là pour servir de tampon entre un système politique ayant perdu toute crédibilité et des citoyens qui n’envisagent plus d’autres moyens d’actions que la lutte « armée » ou l’explosion de colère. Le problème que j’ai souvent rencontré, c’est l’incompréhension face à mon refus de prendre une position manichéenne. « Oui, il y injustice mais cela ne légitime pas les actes de violence. Oui, il y a violence mais cela ne doit pas occulter les injustices. ».

Le plus insupportable, c’est de voir le monde politique s’emparer de ces incidents. Même lorsque l’incident n’est pas politisé, c’est l’occasion de s’attaquer à un rappeur, au foot, aux cultures, etc. Il faut un coupable pour éviter que les manquements du système social et politique soient soulignés. Dès lors qu’il y a un fond militant, il n’est plus question que de casseurs et de pilleurs. Ce faisant, le message politique est totalement occulté. On se concentre sur la forme plutôt que sur le fond. Dans le cas des récents événements à Bruxelles, le sujet retenu n’est pas le sentiment d’appartenance, le rapport avec la police, les moyens d’expression ou la décolonisation. Il est question de police locale, de région, de communautés et de communes. En somme les discussions tournent autour d’enjeux politiques, au sens grossier du terme.

Être ignoré, méprisé ou constamment condamné, cela génère une frustration, une colère et un sentiment profond d’injustice. C’est dans cet état d’esprit que sont une grande majorité des personnes que j’ai rencontrées dans mes différents postes. Comment ne pas leur donner raison lorsque ceux-ci soulignent les injustices sociales et économiques flagrantes dont ils sont victimes. Par exemple, je ne sais pas quoi répondre à un citoyen qui travaille mais qui peine à boucler ses fins de mois et qui assiste à des scandales financiers en série. Je suis encore plus démuni quand celui-ci résiste à une saisie de ses biens et se fait arrêter (voire juger, condamner et incarcéré).

Je pense que nous pouvons soutenir les personnes que nous accompagnons en reconnaissant l’existence des injustices et en comprenant leur colère. Par ailleurs, il faut prendre des positions fermes et répéter inlassablement aux autorités, aux pouvoirs subsidiant et aux élus qu’ils doivent prendre la pleine mesure des inégalités.

Parallèlement, nous pouvons aussi accompagner les personnes dans leur indignation et proposer des lieux de débat, d’expression et d’organisation. Je crois, qu’en tant que travailleurs social, pédagogique ou éducatif, nous ne devons pas craindre le désir de lutter chez ceux que nous rencontrons. Au contraire, nous devons faire notre possible pour que leurs revendications puissent prendre une forme sur laquelle nous pouvons bâtir plutôt qu’exclure. Car c’est de cela qu’il s’agit en définitive, de l’exclusion de certains citoyens dès lors qu’ils résistent (consciemment ou non, pacifiquement ou non).

Perceval Carteron, éducateur.

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