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« On est dépassés par la gravité des cas » : le cri d’alarme d’un soignant en psychiatrie

18/08/25
« On est dépassés par la gravité des cas » : le cri d'alarme d'un soignant en psychiatrie

Julien est soignant au sein d’un hôpital psychiatrique depuis près de trente ans. Passionné par son métier, il constate néanmoins une évolution inquiétante dans la nature des pathologies qu’il doit prendre en charge, couplée à un effondrement des moyens humains et organisationnels disponibles. Un cocktail explosif, qui affecte à la fois la qualité des soins et la santé du personnel.

« Avant, on accueillait principalement des patients avec des troubles psychiques modérés, souvent liés à un handicap mental léger ou à des pathologies chroniques stabilisées. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même situation », lance, en préambule, Julien.

Au fil des années, il a vu arriver des patients aux profils de plus en plus complexes : paranoïa, hallucinations sévères, états psychotiques aigus, comportements violents. À cela s’ajoute une évolution majeure dans le profil des personnes hospitalisées : « On accueille beaucoup plus de patients issus de l’immigration, souvent des demandeurs d’asile en provenance de zones de guerre. Ils présentent des troubles psychiatriques lourds, souvent liés à des traumatismes extrêmes, et n’ont jamais été pris en charge auparavant. »

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Une prise en charge entravée par la barrière linguistique et les traumas

Julien souligne un autre facteur qui complique lourdement le travail des équipes : la langue. « Beaucoup de patients ne parlent pas notre langue. On tente de communiquer en anglais quand on peut, ou alors on fait appel à un interprète. Mais ce n’est pas l’idéal. En psychothérapie, chaque mot compte, et on perd une grande partie du bénéfice dès qu’on passe par une tierce personne ou une langue qui n’est pas la langue maternelle du patient. »

Ces patients arrivent souvent en centre d’accueil, où leurs troubles sont repérés. Ils sont ensuite orientés vers les structures psychiatriques, parfois en urgence. « Certains ont vécu des violences extrêmes, la perte de leur famille, la torture, l’exil, des atrocités vécues en zone de guerre, l’errance jusqu’à l’Europe … Et nous, on tente de les aider dans un cadre déjà saturé, avec des moyens limités et un personnel en pénurie. »

Une insécurité croissante pour les soignants

Face à la montée en puissance de ces profils complexes, les tensions augmentent aussi pour les soignants. Julien avoue qu’il lui est déjà arrivé d’avoir peur d’aller travailler. « On a de plus en plus d’agressions. Il y a quelques mois, un patient s’est montré agressif envers le personnel. Il s’est enfui avec une arme blanche. La police a dû intervenir, et il a finalement été transféré. Mais on en garde tous un goût amer. »

La présence de substances psychoactives dans l’hôpital accentue le sentiment d’insécurité. « On voit du trafic de drogue à l’intérieur même de l’institution. Les patients consomment de l’alcool, des drogues de rue ou de nouvelles substances qu’on ne connaît même pas, parfois en association avec leurs traitements psychiatriques. Il y a aussi de l’utilisation détournée de produits en vente libre, comme du gaz de briquet. Et nous, on n’est pas formés pour gérer ça. »

Des équipes épuisées, des soins fragilisés

L’autre constat alarmant de Julien, c’est le manque criant de personnel formé. « On fonctionne souvent avec des intérimaires ou des volants qui ne connaissent pas les patients, ni les spécificités du service. Résultat : la continuité des soins est compromise. »

La communication entre médecins, elle aussi, laisse parfois à désirer. « Le médecin de garde n’est pas toujours celui du service. Parfois, il modifie un traitement sans consulter l’équipe de jour, et ça peut avoir un effet désastreux sur l’équilibre du patient. »

Le besoin urgent d’une réponse systémique

Son témoignage met en lumière une réalité alarmante dans le secteur psychiatrique : une augmentation de la gravité des pathologies, combinée à une fragilisation structurelle, entraîne un glissement progressif vers une zone rouge.

Propos recueillis par MF - travailleuse sociale

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