Aide à la jeunesse : un travail exigeant et passionnant
Travailler dans le secteur de l’aide à la jeunesse, c’est faire le choix d’un métier engageant et exigeant. Des travailleurs y consacrent leur carrière, tandis que certains jettent le gant, épuisés par ce qu’ils y ont vécu. D’autres encore y font un passage plus ou moins bref, n’y trouvant pas leur compte. Nous avons rencontré quatre travailleurs de ce secteur et vous dressons ici leur portrait. Découvrez l’épisode 3 de notre série consacrée à l’Aide à la jeunesse et à son personnel !
[Dossier] :
- Episode 1 : Evolution et préoccupations pour l’Aide à la jeunesse : la parole aux travailleurs
- Episode 2 : Quand les violences politiques succèdent aux violences familiales
- Episode 4 : Le quotidien d’un service résidentiel général
Marine, Rachelle et Jean travaillent tous les trois au sein d’un service résidentiel général de l’Aide à la jeunesse, depuis respectivement 24, 17 et 29 ans. Tous trois sont passionnés par leur métier et pourtant, ils ne s’y destinaient pas.
Jean : « J’ai commencé à travailler ici car on m’y a proposé du boulot ! J’avais fait plusieurs stages, dont un ici. Ils m’ont proposé du travail une fois mon diplôme obtenu et j’y suis encore ! Ce qui est porteur pour moi, c’est la diversité au niveau de mon travail. On est obligés d’essayer plein de choses, de se réinventer, de s’adapter. Nous sommes aussi une équipe très soutenante, on rit beaucoup ensemble. On se forme, on se remet en question, on fait régulièrement des supervisions. On réfléchit à nos actions, à notre travail. Et on manie l’humour noir entre nous, ça nous aide à dédramatiser et à garder de la légèreté. En plus, on est une équipe qui se connaît depuis longtemps, puisque chez nous, les collègues restent. Avec les années, on a appris à se connaître, à accepter les limites, qualités et défauts de chacun. »
Rachelle : « Je suis tombée dedans quand j’étais petite ! Pour moi, ce lieu, c’est une histoire de famille, puisque ma tante fait partie des fondateurs. Par contre, une fois mon diplôme d’assistante sociale obtenu, j’ai cherché à travailler ailleurs, mais je n’ai rien trouvé. Je n’ai pas le profil d’une assistante sociale classique. Finalement, je suis venue travailler ici, où j’ai une fonction d’éducatrice qui me convient beaucoup mieux. J’aime travailler avec des enfants car c’est un public pour lequel on peut toujours nourrir de l’espoir : ils ont encore toute leur vie à construire et on est parfois étonnés des ressources qu’ils développent et mettent en oeuvre. J’ai l’impression qu’ils sont bien plus résilients que par exemple certains adultes. Notre équipe est porteuse, c’est une force. Nous sommes à la fois dans le professionnalisme et dans la bienveillance les uns avec les autres. Ça clashe souvent, mais on discute toujours par après. Après tout, on va être amenés à travailler encore longtemps ensemble ! En fait, on sait qu’on va tous vers le même but, ce sont parfois nos chemins qui diffèrent et on respecte ça. »
Marine : « C’est un joyeux bordel. On rit, on pleure, on crie. On n’est pas toujours d’accord entre collègues, on se dit les choses sans détours et nos réunions sont parfois houleuses, mais au final, on reste professionnels avant tout et on va tous soutenir la décision prise en équipe. Personnellement, je n’avais pas projeté de travailler avec des enfants, mais à l’époque, je suis venue travailler ici car ils engageaient et je cherchais du boulot. De base, je suis assistante sociale, mais ici, je suis en partie éducatrice. J’assume également une fonction psycho-sociale et je fais aussi une partie de la comptabilité. On est tous un peu couteau suisse ici ! J’aime bien le projet de départ de l’institution, c’est un beau projet. Le travail ici est engageant, et c’est clair que si on ne l’est pas, on ne tient pas. Ce que j’aime aussi ici, c’est qu’on laisse une place à l’individualité des enfants et des éducateurs. C’est important pour nous. Nous sommes également un lieu reconnu pour permettre aux jeunes de se poser à moyen ou long terme. »
En rencontrant ces travailleurs, j’ai découvert une équipe soudée, professionnelle et bienveillante, sans langue de bois, qui manie à la fois l’humour et le sérieux, le tout au service d’un projet porteur. Supervision, remise en question, réflexion semblent également faire partie des maîtres-mots de ces travailleurs qui pourraient parler de leur métier des heures durant. On sent en outre le climat sain d’une équipe menée et portée par un projet qui fait sens pour elle. On sent la transparence. Ce n’est pas le cas partout.
« Parfois, on ne voit pas d’issue pour les jeunes... »
Veronique, psychologue de formation, a d’abord travaillé une quinzaine d’années dans l’Aide à la jeunesse avant de se reconvertir dans l’enseignement où elle exerce encore. « J’ai beaucoup aimé mon travail, je me sentais utile. Cependant, au fil des années, c’est devenu de plus en plus dur. Les situations sont prenantes et parfois, on ne voit pas d’issue pour les jeunes. Ça dépend d’où on travaille, mais certains milieux sont franchement violents pour les jeunes, notamment lorsqu’ils sont en transit. Je crois que c’est le pire. Le travail avec les familles n’est pas toujours simple non plus, notamment lorsqu’on sait qu’un placement serait la meilleure solution pour tous et que ce ne sera pas fait ou alors pas même à moyen terme. Il y a aussi les familles non collaborantes, les résistances passives avec lesquelles il faut composer et qui freinent le travail pour le jeune », confie-t-elle.
Et de rajouter : « J’ai travaillé dans peu d’institutions, mais je n’ai pas connu d’équipe vraiment soutenante. Je crois qu’on était tous à bout et que ça se ressentait, même dans nos rapports entre nous. C’est un travail usant et si on n’a pas de support, on ne tient pas. Il peut y avoir beaucoup de violences institutionnelles également. Les horaires aussi sont pénibles. En hébergement, ce sont des soirées, des nuits, des week-ends. En fait, je me suis rendu compte que mon travail m’épuisait, que je n’avais plus rien à donner car pendant des années, j’avais donné dans un contexte qui me nourrissait peu. On était happés par le quotidien, on n’avait pas toujours l’occasion de débriefer sur certaines situations qui l’auraient nécessité et petit à petit, tout ça a laissé des marques. À un moment donné, j’ai fait un burn-out et j’ai choisi de me réorienter ».
L’aide à la jeunesse, secteur essentiel de notre paysage socio-éducatif, est un camaïeu de nuances où, comme dans tous les domaines du secteur social, les moyens mis à disposition des travailleurs, l’ambiance instillée dans les équipes, la bienveillance, le soin apporté aux travailleurs, le cadre de travail, la transparence, les possibilités de s’exprimer, les mots-dits par opposition aux non-dits font toute la différence.
MF - travailleuse sociale
Découvrez les autres textes de l’autrice
– Secteur non-marchand : balayer devant sa porte...
– Travail social : vous avez dit piston ?
– Travailler dans le social : ces clichés qui nous collent encore et toujours à la peau
– Travail social : le pire moment pour lancer un nouveau projet
– Travail social : quand la communication fait défaut
– Ce que j’aurais aimé qu’on me dise lorsque j’ai commencé à travailler dans le social
– Travailleurs sociaux indépendants : vers un système social à deux vitesses ?
– Peut-on soigner en ne prenant pas soin de soi ?
– Rémunération : travailleur social, combien tu vaux ?
– Quand l’entretien d’embauche en dit long sur l’employeur
– Travail social : comment "gérer" son chef ?
– Viva for Life, entre cirque médiatique et charité mal placée
– Quand nos aînés sont laissés au bord de la route...
– Travailleur social : comment démotiver un collègue compétent et investi
Ajouter un commentaire à l'article