Le secteur de la petite enfance sous tension : la parole au terrain
Le secteur de l’accueil de la petite enfance est en crise : le manque de places en crèches est alarmant, les conditions de travail se dégradent et la valorisation des professionnels reste insuffisante. Pour témoigner de cette réalité, des puéricultrices ont partagé sans filtre leurs expériences de terrain avec le Guide Social. Dans ce premier épisode de notre série consacrée au secteur et à son personnel, ces professionnelles mettent en lumière les défis quotidiens auxquels elles font face, entre pénurie de collègues et normes d’encadrement insuffisantes.
Chloé a 49 ans et est puéricultrice en crèche depuis 25 ans, en milieu urbain. Pour elle, la nécessité ne se situe pas uniquement au niveau du nombre de places à créer. « Effectivement, il y a un manque de places. Mais il y a surtout un manque de personnel », confie-t-elle. « Nous sommes en tension permanente, dès qu’une collègue est malade, et ça arrive tout le temps, nous sommes en sous-effectif. Parfois, j’ai l’impression de bosser en usine, tellement c’est tendu. Les périodes de congé sont aussi très compliquées à gérer, malgré que les 3/4 des congés soient imposés par l’employeur. Nous avions des intérimaires qui assuraient les remplacement et elles ont toutes été engagées de manière fixe. »
Noémie a 38 ans, elle est éducatrice spécialisée. Depuis 2 ans, elle s’est reconvertie et travaille en crèche, en milieu rural. Pour elle aussi, le principal problème se situe du côté du manque de personnel : « Clairement, c’est un secteur en pénurie. Je n’ai pas le diplôme adéquat, et pourtant, j’ai pu être engagée du fait de la pénurie. Dans la première crèche où j’ai travaillé, nous étions en tension permanente. Nous étions tout le temps au maximum de la capacité d’accueil, mais ça ne devrait pas être le cas ! C’est un maximum, ça ne devrait pas être le nombre de bébés que nous accueillons tous les jours ! Dans la crèche où je travaille actuellement, ils font appel à une plateforme de remplacement en cas de maladie, mais là aussi il y a un manque de personnel, donc cela ne fonctionne pas toujours comme ça devrait. »
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Des normes d’encadrement trop faibles
Pour l’une comme pour l’autre, il est également nécessaire de revoir les normes d’encadrement, qui sont beaucoup trop faibles.
« Les normes sont de 1 puéricultrice pour 7 enfants. C’est beaucoup trop peu. Nos syndicats se battent pour que ce soit 1 pour 5 enfants. Quand des collègues sont malades, nous ne faisons pas d’heures supplémentaires, car ce serait impossible à gérer, on ne pourrait pas les récupérer. Par contre, nous sommes un peu plus seules le matin ou le soir, et en journée, c’est extrêmement tendu pour assurer toute l’intendance : réchauffer les repas, faire les panades, veiller aux couchers et aux levers, etc », témoigne Chloé.
De son côté, Noémie pointe : « Dans la première crèche où j’ai travaillé, j’ai commencé à mi-temps. Très vite, on m’a demandé de passer à 30 heures par semaine. Ça ne m’arrangeait pas, mais j’ai senti la pression du manque de personnel et j’ai accepté pour ne pas être mal vue. Chez nous, les normes précisées dans le projet pédagogique étaient d’une puéricultrice pour 5 bébés (jusque 18 mois) et une pour 6 chez les grands (de 18 mois à 2 ans et demi), mais elles étaient rarement respectées. En fait, j’avais l’impression que toutes les demandes des parents étaient acceptées. C’est une crèche communale et c’est une petite commune … »
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Envoyer un message de soutien et de respect aux femmes
Les possibilités de gardes d’enfants influent directement sur l’activité professionnelle des parents et renvoient également à la question des inégalités de genre : ce sont le plus souvent les femmes, qui bénéficient de revenus plus faibles, qui arrêtent de travailler ou qui diminuent leur activité professionnelle pour s’occuper de leurs jeunes enfants lorsqu’il n’y a pas de place d’accueil disponible. Dégager des fonds pour prioriser un accueil de qualité pour les jeunes enfants, c’est, dès lors, envoyer un message clair de soutien et de respect, aussi bien aux familles, et surtout aux femmes, mais aussi aux professionnel.le.s du secteur, majoritairement féminines également.
MF - travailleuse sociale
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