L’accueil de la petite enfance est-elle en adéquation avec la société actuelle ?
L’accueil de la petite enfance est une thématique particulièrement révélatrice des mentalités, des volontés politiques et de l’évolution des codes sociaux. Avant d’y être confrontée personnellement, en tant que parent, je ne m’en rendais pas compte, ou en tout cas, je le savais « en théorie », en tant que travailleuse sociale. Le vivre de manière concrète, c’est autre chose.
En tant que professionnel du secteur social, on sait que les modalités d’accueil des enfants, qu’ils soient petits ou grands, ont un énorme impact sur les possibilités d’emploi et, de manière générale, d’insertion, des parents, surtout des mères, et, par là même, sur la qualité de vie de la famille, son émancipation sociale, etc. Ce qu’on sait moins, tant qu’on n’y est pas soi-même confronté, c’est à quel point tout cela est complexe et à quel point nos modalités d’accueil actuelles sont peu en adéquation avec les évolutions de notre société.
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Le modèle serait-il à revoir ?
Tout le monde s’accordera sur le fait que trouver une place en crèche relève du parcours du combattant. Qui plus est, cela représente un coût non négligeable, même si le milieu d’accueil est subventionné, ce qui fait rapidement se poser la question du maintien ou non d’une activité professionnelle, s’agissant des personnes exerçant un métier mal rémunéré, ou en tout cas du parent le moins bien payé et qui est souvent la mère… En fait, lorsqu’on y réfléchit, c’est peut être tout le modèle qui pose question et serait à revoir.
Notre société évolue, l’accueil de la petite enfance le devrait aussi
Notre société est en constante mutation et le temps où les petits restaient en famille jusqu’à leur entrée (tardive) à l’école n’est plus. Ou du moins, plus de manière exclusive. Ne fut-ce que parce que rares sont les familles qui peuvent se permettre, à l’heure actuelle, de vivre avec un seul revenu.
Mais ce n’est pas tout. Le respect des horaires d’ouverture, le fait d’être parent solo ou non, la grande disponibilité nécessaire pour parer aux constants imprévus, aux maladies, etc. Tout ceci exige un réseau étendu, un maillage familial serré, qui n’est peut-être plus la norme actuelle. Aujourd’hui, la population est beaucoup plus mobile, l’âge moyen auquel les parents ont leur premier enfant augmente, la disponibilité et la proximité des grands-parents évolue, les familles sont plus nucléaires, les femmes ont une activité professionnelle, et aspirent souvent à s’épanouir en-dehors du cadre familial…
Là où l’accueil de la petite enfance continue à être un luxe inaccessible faute de place pour 4 parents sur 10, selon la Ligue des Familles. Les autres freins ne sont même pas évoqués, à ce stade.
Les crèches coûtent cher à tous les acteurs, et ce n’est pas la seule difficulté
Noémie travaille dans le secteur de l’accueil de la petite enfance depuis 2 ans et son constat est sans appel : « Une crèche coûte extrêmement cher à une commune, malgré les subsides. Ça ne les intéresse pas d’en avoir une sur leur territoire. Ils le font parce qu’ils n’ont pas le choix, c’est une demande de la population, et la demande est de plus en plus forte ! »
Elle pointe aussi les difficultés auxquelles font face les parents : « Les gens ne sont pas toujours conscients de la réalité de la vie avec un bébé. Au début, ils sont tout le temps malades et il faut trouver des solutions autres que la crèche pour les garder. Il faut savoir dégager de son propre temps ou pouvoir faire appel à sa famille, et c’est comme ça tout du long : ça continue avec l’école, les vacances, les horaires etc. »
Effectivement, la pénurie de personnel ne concerne pas uniquement les crèches au sens large, mais aussi notamment les services de garde d’enfants malades (payants, eux aussi et qui posent à nouveau la question du maintien d’une activité professionnelle).
La création de places est-elle la solution ?
Selon les professionnelles avec lesquelles je me suis entretenue, pas nécessairement. Ou en tout cas, pas de manière isolée. Effectivement, tout le modèle est à revoir, et pas uniquement l’adéquation entre les places disponibles et la demande. Il est question ici notamment de la place de la famille au sein de la société, de la considération accordée aux femmes, de la manière dont on permet aux citoyens de conjuguer vies professionnelle, personnelle, familiale et de s’épanouir au mieux dans ces différentes facettes qui composent leur vie.
MF - travailleuse sociale
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