Educateur : travailler sous statut indépendant, une (fausse) bonne idée

Récemment, j’ai vu passer une offre d’emploi pour un poste d’éducateur spécialisé, sous statut d’indépendant. Curieuse, j’ai contacté l’institution pour un peu mieux comprendre les tenants et aboutissants d’un tel fonctionnement. Dans ce cas précis, il s’agit d’un emploi en milieu hospitalier, au sein d’une équipe thérapeutique, où tous les professionnels sont indépendants, alors pourquoi pas l’éduc ?
Pourquoi pas, en effet ? Tout d’abord, parce que c’est un statut précaire. Et aussi parce que les deux parties ne négocient pas à armes égales. L’avantage d’un statut indépendant, c’est la liberté de fixer son cadre de travail, son taux horaire, or, ici, ce ne serait pas le cas, tout cela étant imposé par l’employeur. Décryptage.
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L’avantage de la liberté. Ou pas
Le salariat présente l’avantage d’offrir une relative sécurité et des garanties en cas de perte d’emploi. Théoriquement, on ne se retrouve pas sur le carreau du jour au lendemain, sans ressources. En outre, il y a des primes de fin d’année, des congés payés et parfois d’autres avantages. Travailler en tant qu’indépendant, c’est renoncer à tout cela.
En contrepartie, le travailleur est libre de définir son cadre de travail, son taux horaire, etc. Ceci dit, le revenu doit être sensiblement plus élevé, ne fut-ce que pour pallier justement aux moments de congés par exemple. Si, à l’heure actuelle, la couverture sociale des indépendants se rapproche très fort de celle des salariés, il subsiste tout de même quelques différences, notamment en ce qui concerne la couverture maladie. Dans l’exemple qui m’a interpellée, la convention faisait état d’un niveau de rémunération mensuel net comparable à celui d’un salarié. Moins les primes. Moins les congés payés. Moins la sécurité de l’emploi.
L’inconvénient de la gestion
Imaginons qu’un financement fasse défaut ou que la structure se retrouve en difficulté économique. Se défaire d’un collaborateur indépendant, qui plus est qui ne facture pas de prestations à des patients, serait simple comme un coup de fil. Ou un message. Sans aller jusque là, la gestion administrative quotidienne d’un tel collaborateur est on ne peut plus aisée, puisqu’il n’y en a pas. Il suffit de payer une facture. Pas de calcul de salaire mensuel, de gestion RH, tout est simple et, par définition, beaucoup plus économique. C’est même délicieusement ironique, puisque le travailleur lui-même assumera l’administratif lié à son emploi, au vu de son statut d’indépendant.
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Taillable et corvéable à merci
En allant un cran plus loin, on peut se dire qu’un éducateur engagé sous un tel statut viendra travailler même malade, qu’il ne rechignera pas à la tâche, qu’il rognera sur ses vacances, qu’il ne renégociera pas nécessairement le montant de ses prestations. Par extension, l’employeur n’a pas de salaire garanti à couvrir en cas de maladie, pas d’indexation automatique. Engager un travailleur sous statut indépendant et fixer soi-même le montant de sa rémunération, c’est tout bénéfice pour l’employeur. Et pour le travailleur ? À partir du moment où il ne peut décider ni de son niveau de rémunération ni de son cadre de travail, il n’y a aucun intérêt à exercer sous statut indépendant, puisqu’il fait face aux aspects négatifs des deux statuts !
Une situation qui n’est pas comparable à celles des autres professions du para-médical
Pourtant, de nombreux professionnels du secteur para-médical travaillent sous statut indépendant, et on n’en fait pas une maladie … Oui, et ce sont généralement des professionnels qui proposent des consultations facturées à des patients, en appliquant le tarif conventionné ou non. Ces professionnels pourraient exercer en cabinet privé. La plupart le font d’ailleurs, en complément à leur activité hospitalière, qui s’apparente à une location de cabinet. Les négociations avec la structure tournent généralement autour des horaires, du rythme des consultations, etc. Les deux parties sont beaucoup plus à égalité, notamment car un bon professionnel va attirer les patients et risque de les emmener avec lui en cas de départ. La situation d’un éducateur n’est pas du tout comparable.
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Attention dérive !
Je vois dans une telle démarche pointer une dérive dangereuse pour la profession. Effectivement, le travail salarié coûte cher en Belgique et de nombreuses structures marchandes ont recours à une collaboration avec de « faux indépendants » afin de minimiser les frais de personnel. À première vue, ce fonctionnement peut séduire, car il semble apporter une relative sécurité à un statut par définition précaire, mais il n’en est rien : en mettant tous ses œufs dans le même panier, l’indépendant se place en situation de dépendance par rapport à son seul et unique client. Actuellement, le marché de l’emploi est favorable aux éducateurs, mais il n’en sera peut-être pas toujours ainsi.
MF - travailleuse sociale
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