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Agressée par un résident, une éducatrice témoigne : "Ma direction n’a rien fait"

23/06/25
Agressée par un résident, une éducatrice témoigne :

Mélanie, éducatrice spécialisée, a été agressée par un résident dans le centre où elle travaillait. Pourtant, après les faits : rien. Aucun suivi, aucune reconnaissance, aucune réaction de sa direction. Une absence de réponse institutionnelle qui continue de marquer la professionnelle… et qui fait écho à d’autres vécus dans le secteur psycho-médico-social. Témoignage.

Le Guide Social : En début de carrière, vous avez été agressée par un résident du centre où vous travailliez.

Mélanie : À l’époque, j’étais une jeune éducatrice. C’était même mon tout premier poste. Ce soir-là, je travaillais avec un collègue en Article 60. Nous étions seuls tous les deux pour assurer la distribution des médicaments aux résidents, préparés en amont par l’infirmière, absente le soir. Un résident, sous traitement avec de puissants anti-douleurs, a demandé un médicament qui ne lui était pas destiné ce jour-là. J’ai refusé, et la situation a dégénéré. Dans l’organisation du lieu, la remise des médicaments se faisait dans un sas, derrière une vitre. Mais, dans la pratique, nous faisions souvent entrer les résidents à l’intérieur. C’est ce que j’ai fait avec ce monsieur : il se trouvait avec nous dans le sas, la porte fermée.

Il est rapidement devenu agressif et je n’ai pas réussi à le calmer. Il m’a attrapée par les épaules et m’a plaquée contre le mur. Mon collègue, pétrifié, est resté figé. Heureusement, un autre résident — proche de l’agresseur — a vu la scène. Il a tenté de forcer la porte. Il a fallu quelques instants à mon collègue pour réagir, puis il a ouvert. Le résident est alors intervenu, a ceinturé l’agresseur et l’a éloigné. Ils ont discuté longuement, rejoints par d’autres résidents venus calmer la situation. L’ordre est revenu et nous avons pu terminer la distribution. J’ai terminé ma soirée en pilote automatique, complètement choquée.

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"Après coup, je n’ai plus vraiment été à l’aise dans mon travail..."

Le Guide Social : Quelles suites ont été données après l’agression ?

Mélanie : Rien. L’incident s’est produit un vendredi soir. Je l’ai notifié dans le carnet de communication, mais je n’ai pas contacté la direction, j’ai voulu laisser passer le week-end pour décanter. Le lundi, j’ai eu une réunion avec la direction. Mon collègue n’était pas là. J’ai relaté l’incident, mais la direction est restée en attente du point de vue de mon collègue absent. Ensuite, ils m’ont demandé si je souhaitais que le résident ait une sanction, mais il ne s’est rien passé. Ils m’ont expliqué que comme je n’avais rien signalé immédiatement, cela signifiait que les faits n’étaient pas si graves. Après coup, je n’ai plus vraiment été à l’aise dans mon travail, surtout que j’ai été régulièrement amenée à croiser ce résident et qu’il y a eu une forme d’impunité pour lui. Je l’ai ressenti dans son attitude.

Le Guide Social : Vous travailliez depuis seulement quelques mois au moment des faits.

Mélanie : Clairement, si cela arrivait maintenant, ou un autre type d’agression, je ne réagirais pas du tout de la même façon. Avec le recul, je me rends compte que, de mon côté, j’ai mal géré la situation et que tout ça aurait pu être évité, ou en tout cas, ne pas dégénérer à ce point. Il s’en est fallu de peu et nous avons eu de la chance que les choses ne prennent pas des proportions plus importantes. Mais je pense aussi qu’organisationnellement, les choses auraient dû être gérées différemment, tant en amont qu’en aval.

"La distribution de médicaments ? Ce n’est pas notre boulot et nous ne sommes pas formés pour ça !"

Le Guide Social : Selon vous, qu’est-ce qui aurait pu être fait différemment ?

Mélanie : Déjà, je n’aurais jamais dû être seule avec un collègue en Article 60. Normalement, ces personnes viennent en supplément de travailleurs formés, ils ne peuvent pas les remplacer, puisqu’ils sont eux-mêmes en formation. D’ailleurs, la plupart du temps, c’était le cas, ce collègue venait épauler l’équipe. Mais ici, mon autre collègue était en congé et l’horaire n’avait pas été modifié pour le remplacer. Pourtant, à bien y réfléchir, cela aurait été judicieux. Après tout, je sortais à peine de l’école !

Le Guide Social : Est-ce que certaines conditions structurelles ont, selon vous, favorisé cette situation ?

Mélanie : Nous n’étions pas en manque de personnel, je crois que personne ne pensait que ce serait nécessaire. Et puis il faut dire aussi que les soirées du vendredi n’étaient pas très populaires auprès de l’équipe, on les réservait souvent aux nouveaux. Ensuite, il y a cette histoire de médicaments. Cela arrive souvent que les éducateurs donnent des médicaments dans les institutions résidentielles. Or, ce n’est pas notre boulot et nous ne sommes pas formés pour ça. Je sais qu’actuellement, on essaye de faire en sorte que ça fasse partie de nos tâches, et je comprends le raisonnement par rapport au manque de personnel infirmier, mais je pense qu’il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas formés pour ça. Même une « simple » distribution de médicaments déjà préparés peut dégénérer, pas nécessairement du fait d’un résident en manque, mais par exemple du fait d’une erreur … Pour ma part, j’ai commis l’erreur de faire entrer ce résident dans le sas, de ne pas réfléchir aux implications en termes de sécurité. Il est devenu agressif lorsqu’il a compris qu’il n’aurait pas son médicament, il ne l’était pas avant ! Cependant, cette procédure existait pour notre sécurité, et je ne l’ai pas respectée car personne ne la respectait, je n’ai pas réfléchi.

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"Depuis, je me suis formée en gestion de l’agressivité"

Le Guide Social : Comment avez-vous réagi, sur le moment, face à cette violence ?

Mélanie : Et bien entendu, lorsqu’il est devenu agressif, j’ai réagi comme une personne victime d’une agression et pas comme une professionnelle. Honnêtement, ça ne m’est plus arrivé par la suite, mais si cela devait m’arriver aujourd’hui, je ne sais pas comment je réagirais. Lorsqu’on est agressé physiquement, on passe en mode automatique aussi et je ne sais pas si je conserverais une attitude professionnelle si c’était le cas. Depuis, je me suis formée en gestion de l’agressivité et j’ai pu désamorcer des situations potentiellement conflictuelles avant qu’elles ne dégénèrent, mais ici, on est au delà d’une simple agressivité, il s’agissait d’un manque. Avec le recul, je pense qu’il était devenu accro à ses anti-douleurs, qu’on était face à une personne toxicomane en manque. Là aussi, la gestion est différente. Je pense également que je préviendrais la direction immédiatement, je n’attendrais pas comme je l’ai fait. J’ai voulu décanter et reprendre mes esprits, mais ça m’a été préjudiciable dans le traitement qui en a été fait.

Le Guide Social : Et concernant le manque de suivi après ?

Mélanie : Clairement, le fait qu’il n’y ait aucune sanction a été difficile à digérer pour moi. D’un côté, je comprends le fait que si le résident était resté derrière la vitre, rien ne se serait produit, mais d’un autre côté, je trouve ça assez hypocrite, dans le sens où tout le monde faisait comme cela. Cette absence de sanction a créé un sentiment d’impunité pour lui, il y a eu des regards narquois, des petites remarques déplacées, bref, des conséquences à gérer pour moi après l’incident. Franchement, je n’ai plus été très à l’aise après. De plus, on en a très peu parlé finalement, tout ça a été fort banalisé. Je crois que j’aurais eu besoin d’un rendez-vous avec un superviseur, d’un moment pour m’aider à exprimer mes émotions par rapport à ça et aussi pour m’aider à comprendre ce qui s’était mal passé. Je l’ai fait par moi-même et j’ai fait appel à des ressources de mon côté, mais ça aurait dû être pris en charge par mon employeur.

Propos recueillis par MF, travailleuse sociale

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Savoir plus :

Les agressions sont encore trop courantes dans le secteur et surtout, elles sont encore trop banalisées, un peu comme si en devenant éducateur, on acceptait que cela fasse partie du métier. Or, ce n’est pas le cas. Certes, nous travaillons avec un public à risque, mais ce public a justement besoin d’un cadre, que nos directions doivent garantir. Ce cadre étant aussi le garant de notre propre sécurité, de notre intégrité, qui a toute sa valeur.




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