- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité ne serait pas forcément dû au hasard… -
Il y a des rencontres que l’on aimerait ne jamais faire. Ô grand jamais. Pour la première fois dans ma carrière professionnelle, j’avais l’impression de faire partie d’une équipe, d’une meute, d’une famille. Certes, elle était parfois dysfonctionnelle, il y avait des moments où elle m’étouffait et d’autres où elle me donnait l’envie de manger ce fichu bipeur qui n’en finissait plus de vibrer. Cette sonnerie, similaire à celle des téléphones de mon supermarché qui provoque un réflexe pavlovien à chaque fois que je l’entends : le son qui amène une nouvelle demande…
J’avais trouvé un équilibre, une harmonie avec certains médecins, avec la plupart des soignants et avec ma nouvelle collègue… Le service tournait, avec des difficultés notoires : le manque de reconnaissance, le personnel sous-staffé. Tout le monde râlait à juste titre, laissant la porte ouverte aux quolibets : ils avaient le temps de se plaindre… Cette notion du temps, elle est tellement différente quand on est psy et quand on est dans le soin. J’arrivais, les mains dans les poches, prenant le temps de discuter du patient, alors que la plupart de mes collègues marchaient comme des robots bloqués à grande vitesse. Néanmoins, pour moi, ce temps, ils le prenaient…
Cette fois-ci, c’était-là, chez nous...
Cette odeur de café d’hôpital tiédasse servi dans une vieille tasse me manque tellement. Les échanges à propos de patients. La blague potache, la prise de tête, les regards complices. L’unité : on va tous dans la même direction. En quelques semaines, tout a changé, balayé comme de la poussière… Et pour être honnête, on n’avait rien vu venir. Au début, on en rigolait, c’est pas un virus qui viendra à bout d’un système alors que la plupart des gouvernements s’y sont acharnés au fil des mandats… On entendait vaguement des nouvelles de Chine… C’était loin, c’était exotique. C’était surtout local, comme le SRAS et toutes ses crasses. Puis, c’est arrivé en Europe… On a continué à sourire… Non, non, non, notre guerre, c’est le sous-financement des services hospitaliers. En tant que psy, j’étais solidaire, mais un peu honteux. J’avais un job qui avait du sens, j’étais relativement bien payé et puis j’avais surtout l’opportunité de pouvoir prendre du recul. Vous êtes sûr que ça va aller ? Il y avait un clin d’œil complice. Il voulait dire : « il est mignon le psy, mais on en a vu d’autres hein… ». Et de fait, des guerres, ils en avaient déjà menés… Était-ce de l’optimisme ? De la naïveté ? Par moment, ça pouvait y ressembler, mais au bout d’un certain temps, j’ai compris qu’il s’agissait de résignation : ils n’avaient pas le choix d’aller au front.
Quand cette saloperie de bipeur a retenti, j’étais calme, heureux : on avait besoin de moi. La conversation a duré quarante secondes. C’est court et pourtant, c’est la durée qu’il m’a fallu pour entendre que cette fois-ci, c’était-là, chez nous. Dans nos murs. Pas dans mon service, certes, mais dans mon hôpital. Dans MON hôpital… Alors, j’ai pris une bonne inspiration, j’ai traversé des couloirs et j’ai passé le pas de la porte du service d’onco-hématologie. Tout le monde était là… J’ai regardé Héline la chef infirmière, le Docteur Merceau et ses envies de coupeur de feu. J’ai vu Justine, la pneumologue, le Docteur Trobard, les kinés, l’assistante sociale autour des infirmiers et aides-soignants. Je les ai toisé et leur ai demandé : « Et maintenant, on fait quoi ? ».
Personne n’avait répondu. Ils n’avaient pas le choix, ils allaient y aller… Comme à l’accoutumée, mais à une différence près… En effet, ils n’allaient pas compter leur temps, leur énergie, ni leur santé, mais quand toute cette histoire sera dernière eux, cette fois-ci, il faudra leur rendre des comptes. Soyez en certain.
T. Persons
NOTE DE L’AUTEUR
On ne va pas se mentir, il m’était inconcevable d’écrire la suite d’Une autre vie de psy, comme si de rien n’était, comme si un hôpital, même fictif pouvait encore tourner normalement. Cette réalité a changé, à tout jamais. Je me suis posé la question : faut-il en parler ? De quelle manière ? Certes, j’ai gommé les calembours, allégories pompeuses et phrases kilométriques, l’envie n’y était pas vraiment. Il reste ce récit, qui se veut documenté, qui se veut fictif, mais qui décrit une abjecte réalité, tout en espérant ne pas froisser qui que ce soit, si ce n’est ceux qui le méritent. Pour la première fois, T. Persons flirte avec le réel et l’auteur qui se cache derrière lui espère à tout prix pouvoir au plus vite retourner vers la fiction…
En attendant des jours meilleurs, prenez soin de vous, prenez soin des soignants .
L’auteur derrière T. Persons
[La première saison]
Épisode I : la nouvelle demande
Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
Épisode III : de l’art de la supervision
Épisode IV : un heureux hasard
Épisode V : le nouveau venu
Épisode VI : une coïncidence douteuse…
Épisode VII : une question de choix
Épisode VIII : le poids des secrets
Épisode IX : la ligne rouge
Épisode X : autour d’un verre
Épisode XI : savoir dire non (partie I)
Épisode XII : savoir dire non (partie II)
Épisode XIII : un métier dangereux
Épisode XIV : les idées noires...
Épisode XV : l’effet papillon
Épisode XVI : un état de choc
Épisode XVII : une rencontre inopinée
Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
Épisode XIX : un retour à la réalité
Épisode XX : la disparition
Épisode XXI : l’appel à l’aide
Épisode XXII : la déposition
Épisode XXIII : et soudain, la lumière…
Épisode XXIV : l’amour fou
[La deuxième saison]
Épisode I : en thérapie...
Épisode II : l’art de coller des étiquettes
Épisode III : au chômage...
Épisode IV : prêt à l’emploi...
Épisode V : à l’hôpital...
Épisode VI : le premier jour…
Épisode VII : faire son trou
Épisode VIII : la meute
Épisode IX : les retrouvailles
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