Replacer l’humain au centre : ces modèles émergents qui réinventent le travail social

Face à la perte de sens, à l’épuisement professionnel et à la pression croissante des logiques gestionnaires, il est temps d’aller cultiver l’espoir, la bienveillance et de faire un tour du côté de ces pratiques qui remettent l’humain au centre, qui reviennent à ce qui fait le coeur de notre métier. Plus horizontaux, plus humains, plus incarnés. Ils réhabilitent la relation, valorisent les savoirs des personnes accompagnées et restaurent l’essence du métier. On en a bien besoin.
Un secteur sous tension, un engagement qui vacille
Je papote beaucoup. J’aime échanger avec les autres, et notamment avec des travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, infirmiers, psychologues ou animateurs. Un point les réunit souvent : tous ont choisi ces métiers par conviction. Mais chemin faisant, une question revient régulièrement, de plus en plus fort : où est passé le sens ? C’est qu’on se retrouve pris entre des logiques contradictoires : d’un côté, des exigences de plus en plus fortes en matière de rendement, de résultats, de contrôles ; de l’autre, des publics dont les parcours sont de plus en plus chaotiques, marqués par la précarité, les traumas, les troubles complexes. La relation d’aide, pourtant au cœur du métier, semble reléguée au second plan.
On aurait bien besoin d’un bon bol d’air. D’un second souffle. Heureusement, un peu partout, sur le terrain, des pratiques émergent pour dire non à la déshumanisation. Non aux procédures qui étouffent, aux postures expertes qui écrasent, aux indicateurs qui déconnectent. Ces pratiques proposent une autre voie : remettre la personne – et la relation – au centre.
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Ces modèles qui offrent un second souffle
1. L’approche centrée sur la personne
Inspirée des travaux du psychologue Carl Rogers, cette approche place la relation entre le professionnel et la personne accompagnée au cœur du processus de changement. Elle repose sur trois piliers : l’empathie, la congruence (authenticité) et le respect inconditionnel de la personne. Le professionnel n’est plus un sachant face à un « cas », mais un être humain engagé dans une relation sincère avec un autre être humain. Dans la pratique, cela implique de ralentir, de créer un espace de parole sécurisé, et d’accepter l’incertitude comme partie intégrante de l’accompagnement. On ne peut pas parler de modèle émergent dans ce cas, ces travaux ayant presque 100 ans ! Pourtant, ils ne sont pas poussiéreux, loin de là, et aujourd’hui, encore plus qu’hier, ils méritent qu’on s’en inspire.
2. L’approche par les capabilités
Là non plus, ce n’est pas un concept neuf, mais une approche qui, à l’heure actuelle, mérite qu’on s’y attarde, ne fut-ce que parce qu’il remet en cause les approches normatives, les logiques paternalistes et replace l’accompagnement dans une dynamique de co-construction. Développée par Amartya Sen et Martha Nussbaum, cette approche invite à penser l’intervention sociale non pas en fonction des manques, mais en termes de libertés réelles d’agir et de choisir. Il ne s’agit pas seulement d’accéder par exemple à un logement ou à un emploi, mais de pouvoir vivre une vie que l’on a des raisons de valoriser. La question centrale devient : de quoi cette personne a-t-elle besoin pour redevenir actrice de sa vie ? Et le travailleur redevient ce tisseur de relation dans les interstices, ce co-créateur de sens.
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3. L’empowerment (ou pouvoir d’agir)
Très utilisé dans le champ de la santé mentale et de la précarité, l’empowerment repose sur un principe fondamental : les personnes disposent de ressources, de compétences et d’expériences souvent invisibilisées. Le rôle du professionnel est de les reconnaître, les valoriser et les soutenir. Cela suppose un renversement de perspective : on ne « fait pas pour » mais « avec ». On ne contrôle pas, on accompagne. On n’impose pas, on soutient l’autodétermination. Souvent l’apanage de l’éducation permanente, il gagnerait à être plus employé dans d’autres secteurs, même ceux où le temps long de l’accompagnement manque.
4. Les pratiques orientées solution
Ces pratiques partent de ce qui fonctionne déjà, même à petite échelle. Elles s’appuient sur les forces, les réussites, les ressources disponibles ici et maintenant. Elles permettent de générer des dynamiques positives et motivantes, tant pour les professionnels que pour les personnes accompagnées. Inspirés des thérapies brèves et de l’analyse transactionnelle, ces pratiques se développent autour d’outils simples à employer, pensés comme des révélateurs de ressources et de solutions plutôt que comme des analystes de problèmes et de causes.
5. Les collectifs horizontaux et les pratiques participatives
Certains services remettent également en question l’organisation hiérarchique classique des institutions. En instaurant des pratiques participatives – conseils de résidents, ateliers de co gestion, co-animation de projets – ils redonnent du pouvoir de décision aux personnes concernées. Le professionnel devient facilitateur, co-acteur, garant d’un cadre sécurisant, mais non plus seul décideur.
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Redonner envie d’y croire
À l’heure où le secteur psycho-médico-social souffre d’une crise de l’engagement sans précédent, ces approches ne sont pas des gadgets. Ce sont peut-être des réponses concrètes à une crise systémique du sens. Elles pourraient redonner envie de s’engager. Elles montrent qu’un autre travail social est possible. Plus humain. Plus vivant. Plus juste.
MF - travailleuse sociale
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