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Quand nos aînés sont laissés au bord de la route...

10/01/22
Quand nos aînés sont laissés au bord de la route...

Récemment, j’ai pu faire une plongée dans le monde de la gériatrie d’aujourd’hui, et ce que j’y ai vu m’a horrifiée. Dans ce monde, on laisse nos aînés au bord de la route, faute de choix, faute de moyens, faute de temps, faute de tout. Je vais vous conter une histoire où vieillir fait peur et où la fin n’est pas forcément heureuse.

Cette histoire se passe à la campagne, où l’offre de services est moindre qu’en ville, mais elle pourrait se produire en ville, dans quelques temps. Qui sait, elle s’y produit peut-être déjà. C’est l’histoire d’une personne âgée, encore autonome, vivant seule chez elle, et qui est hospitalisée car malgré tout, l’âge étant là, la machine connaît quelques ratés. Après quelques jours, vient le moment de sortir de l’hôpital.

Et c’est là que les choses se gâtent : c’est qu’il faut aller vite. Prévenir la famille, l’avant-veille, à 15h55. Pas le temps de parler trop, la journée de travail se termine à 16h. Pourtant, un retour à domicile se prépare : lit médicalisé, passage d’une infirmière, nécessaire aide à la toilette journalière, etc. La famille n’aura qu’un jour pour tout organiser, c’est que le service social n’en a pas le temps et que ce n’est plus vraiment sa mission : il doit se concentrer sur les patients qui n’ont pas de famille, et agit de toutes façons à la demande des patients, du moins quand ces derniers, ou leur famille, savent qu’ils peuvent en formuler une. Tout au plus, la famille recevra des numéros de téléphone, obsolètes pour la plupart.

Et tout s’organisera dans la précipitation, l’urgence d’un retour décidé en dernière minute, pain quotidien de l’organisation hospitalière actuelle. C’est qu’il n’y a plus assez de lits pour tout le monde. Non pas faute de matériel (quoi que), mais faute de personnel. Et une hospitalisation coûte cher, autant les limiter. Alors on ne prend plus le temps d’organiser les choses. Fort heureusement, la famille se démène et trouve un lit médicalisé. Pour le reste, ce n’est pas si simple. C’est qu’il y a pénurie partout. Et n’oublions pas que nous sommes à la campagne, où la pénurie est encore plus criante.

Quand, faute de personnel, des services entiers ferment et des personnes ne peuvent plus vivre chez elles dans la dignité

Alors notre personne âgée, et encore fort autonome, mais qui a besoin d’une aide pour se laver et s’habiller, restera en pyjama plusieurs jours. C’est que, voyez-vous, on ne peut pas trouver des gens du jour au lendemain, surtout quand il n’y en a pas. Ou que la responsable est en congé. Ou que le niveau d’autonomie de la personne ne justifie pas un passage infirmier. Ou que ledit niveau d’autonomie ne rapporte pas assez. Alors il faudra courir partout, telle une poule sans tête, se heurter à des portes fermées et à des lourdeurs administratives incompréhensibles. Il faudra jouer à la balle de tennis, renvoyée d’un joueur à l’autre, se fâcher et tempêter qu’il s’agit là d’un être humain qui mérite sa dignité. Il faudra aussi faire comprendre à ses interlocuteurs que l’affaire ne sera pas lâchée si aisément.

Et il faudra s’entendre proposer un passage en maison de repos. Après tout, n’est-ce pas là la meilleure solution, pour une personne qui n’est plus capable de se laver et de s’habiller seule et qui aura été hospitalisée et renvoyée chez elle sans autre forme de suivi ? Est-ce là tout ce que notre société a à offrir à ses anciens ? Ceux qui ont travaillé toute leur vie, élevé les travailleurs d’aujourd’hui, cotisé et financé les services actuels ? C’est la solution de facilité quand, faute de moyens, le social et le médical sont à l’agonie. Quand, faute de personnel, des services entiers ferment et des personnes ne peuvent plus vivre chez elles dans la dignité. Quand, faute d’incitants positifs, des professionnels quittent par milliers le navire après quelques années ou quelques mois.

Fort heureusement, dans le cas de notre personne âgée, et de cette histoire qui n’est pas une fiction, à force de tempêter et de cogner aux portes, la famille aura su se faire entendre et aura gagné un sursis à domicile. Mais combien de personnes sont ainsi arrachées de chez elles sans que cela soit réellement nécessaire ? Combien d’entre elles finissent en maison de repos là où elles auraient pu passer encore quelques mois ou quelques années dans la quiétude de leur foyer, moyennant quelques aides à domicile et un suivi adéquat ? Les maisons de repos sont indispensables, mais pas toujours nécessaires, et nos aînés méritent qu’on leur offre ce dont ils ont besoin.

MF - travailleuse sociale

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