Chronique d’un psy : « C’est la rentrée »

Alors que la plupart des gens se dirigent lentement vers la fin des vacances, T. Persons nous revient pour nous faire part de son humeur en cette nouvelle rentrée.
Soyons honnêtes, mis à part la discographie d’Indochine, il n’y a rien de plus détestable qu’une rentrée. Cette effervescence, cet élan qui nous pousse à nous renouveler, à innover, à nous dépasser, à se dire que cette année, ce sera différent. En cette nouvelle rentrée, j’en fais le serment, il y aura des pauses à midi, il y aura plus de collaborations et des échanges multidisciplinaires, surtout avec ce vieux médecin croulant qui n’est pas fichu de retenir mon satané prénom ni de comprendre ce que je fiche dans son service. Je me le promets, je n’attendrai plus la fin de l’année pour faire ma comptabilité, je vais être régulier dans mon administratif, un vrai pendule suisse qui génère ses factures pile quand il faut, au bon moment, comme un solo de guitare dans une chanson de Pink Floyd.
Ah, les bonnes résolutions de la rentrée… Celles qui nous poussent à changer nos habitudes tenaces, qui font souvent en sorte que le tout ne se casse pas trop la figure. Celle qu’on tient durant quinze jours tout au plus, avant de recommencer à manger son repas sur le pouce entre deux patients, à râler parce que ce crétin de médecin vous a encore confondu avec le guignol du service pastoral ou encore à ranger vos tickets de frais professionnels dans une boite en carton en se disant que définitivement, on fera le tri plus tard, c’est-à-dire jamais. Qu’on se le dise, les bonnes résolutions de rentrée équivalent à celles de la fin de l’année, la gueule de bois en moins. Elles terminent aux égouts de notre quotidien pour mourir là où elle n’aurait jamais dû naître.
Dites-vous bien que c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas
Vous me direz, il n’a pas l’air de super bonne humeur le T. Persons… Il a passé de mauvaises vacances ? Il n’a pas encore bu son café ? Pourquoi tant de morosité, de cynisme, de défaitisme ? Pour tout vous dire, j’ai passé les vacances de ma vie. Celles qui ressourcent, celle qui ne demandent pas de masque, ni de distance sociale. Celles qui ne débordent pas dans un planning serré, boudiné comme Gérard Depardieu dans un legging. Non, en fait, ce qui me barbe, c’est l’impression d’avoir besoin de vacances. Il y a un truc avec les métiers de la relation d’aide, c’est que parfois – souvent même – ça a du sens. Or qui dit sens, dit que c’est plutôt plaisant et qu’il est beaucoup plus compliqué de s’autoriser à lâcher. Ai-je réellement besoin de faire trempette dans une piscine chauffée au soleil du Sud si, dans mon quotidien, j’ai le privilège d’être épanoui par un métier qui vient narcissiser toutes les failles de ma personnalité ? Poser la question, c’est peut-être y répondre. Oui, les psy ont besoin de vacances, et même si la plupart d’entre nous font de leur vie professionnelle quelque chose qui est porteur de sens, il n’en est pas moins pertinent d’avoir besoin de souffler.
Du coup, il me semble opportun de mettre les pieds dans le plat. A-t-on le droit de se plaindre de la fin de la récré à l’heure où il faut reprendre un job qui parait plutôt sympathique ? Dois-je me sentir coupable pour toutes ces personnes qui font un métier horrible, futile, aliénant et qui, en lisant ma complainte, ont certainement envie de m’envoyer butiner des fleurs dans un champ bourré de pesticides ? Dois-je remettre en question ma profession parce que le premier patient du lundi matin à 9h va me renvoyer à tout sauf à mon petit déjeuner au soleil, la brise fouettant mon visage, au rythme des chants des cigales ? Non, pardi !
En conclusion, on peut décemment considérer que tout le monde mérite des vacances, du repos, une coupure dans le quotidien. Et même s’il faut du temps pour retrouver votre rythme, je vous souhaite sincèrement à tou·te·s une excellente rentrée, sauf aux membres du groupe Indochine à qui, pour d’évidentes raisons d’hygiène auditive, j’implore de rallonger leur périple à Punta Cana de dix ans jusqu’au prochain album. Pour ceux qui – comme moi – ont encore un peu de mal, il n’y a pas de recette miracle. Dites-vous bien que c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Et puis, comme le disait mon patient dépressif de 9h le lundi matin : tout n’est que finitude. L’existence, la vie, sa vacuité, l’ennui … Finalement, le blues du retour, c’est un peu comme la voix de Nicola Sirkis, après un peu de temps et une bonne dose de café, ça finit par passer.
T. Persons
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