Chronique d’un psy : "Une question de confiance envers son thérapeute"
Sur un ton léger, T. Persons revient sur le concept de confiance envers son thérapeute, dans un contexte où la crise sanitaire sème la méfiance à tour de bras.
Cette semaine, alors que je tentais de régler ma dépression saisonnière au rythme des derniers rayons de soleil potables de l’année, il m’est arrivé quelque chose de peu banal… Quoi ? Un patient qui annule à la dernière minute mais qui demande malgré tout à te rétribuer ? Un médecin traitant qui t’appelle pour te dire qu’il a expliqué clairement le cadre de la nouvelle convention des psychologues de première ligne à son patient ? Non, pardi ! Mieux, ce mardi matin, un patient m’a montré, à sa manière - certes inadéquate -, qu’il avait confiance en moi.
Évocation. Il est onze heures et cinq minutes. Je ferme ma fenêtre, je rallume mon chauffage et je fais un signe de croix en hommage à mes principes écologiques partis trop tôt, balayés par un protocole sanitaire devenu routinier, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse trente degrés. Soit, je fais rentrer mon patient, il respecte la distance réglementaire, ne me sert pas la main. Nous portons tous les deux un masque. D’une manière machinale, je désinfecte mes mains et plante mon regard dans ses yeux, prêt à m’enquérir de ce qu’il a à me dire. Quand tout à coup, d’une voix assurée, il me lance : « Je ne sais pas pour vous mais moi, aujourd’hui, j’ai décidé d’enlever mon masque ».
Génial, me suis-je dit. Enfin, on va arrêter de tourner autour du pot et envoyer valser toutes ses satanées défenses. Je n’ai bien évidemment eu qu’une seconde pour m’en réjouir avant de voir mon patient joindre l’acte à la parole et ôter le tissu qu’il avait devant la bouche. Ah ! Ce masque-là. Oui, c’est fâcheux… Parce que dans ce contexte, moi, je fais quoi ? Très vite, je rebondis sur mes pattes, je rappelle le cadre. J’essaye de comprendre la démarche, le sens que cela a. Je tente de négocier quelque chose où chacun s’y retrouve. Certes, j’aère entre chaque entretien, je désinfecte et on est à plus d’un mètre cinquante l’un de l’autre. Qu’il le mette ou pas son fichu masque, il n’y aura peut-être pas de différence significative. J’entends que pour mon patient c’est impératif mais, du coup, j’agis comment moi, dans l’histoire ? Je l’enlève ? Je le garde ? Dans le doute, je lui demande. Lui, il préfère que je l’ôte. Selon lui, je fais partie des professionnels de soins de santé, on peut me faire confiance.
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités...
Je vous avoue que cela m’a fait l’effet d’une claque, cette confiance inconditionnelle que l’on nous donne parce que l’on est psy. Alors certes, vu mon allure, j’ai plus une tête à faire des mots fléchés en écoutant la cinquième de Beethoven qu’à bouger mon séant sur de l’électro un samedi soir au Mirano mais malgré tout, il est assez déconcertant de se rendre compte à quel point dans l’imaginaire de certains de nos patients, on est fiable. Vous me direz que la psychologie sociale regorge d’expériences qui expliqueraient ce qui s’est joué ce matin-là, que l’on ait une blouse blanche ou non. Il est une chose de l’étudier, mais l’expérimenter dans le quotidien de son cabinet, c’est particulier.
Du coup, ça m’a fait réfléchir. À la lumière des lectures d’un philosophe trop méconnu, je me suis rappelé d’une de ses phrases les plus raisonnantes : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Loin de moi l’idée de vouloir ériger les soignants en héros que l’on applaudit le soir à vingt heures, il semble pertinent d’avoir conscience que lorsque l’on passe le pas de nos portes, il y a quelque chose de l’ordre de la responsabilité qui se transfère, qu’on le veuille ou non. Certains seront méfiants et critiques mais d’autres se laisseront complètement aller, pour le meilleur, comme pour le pire.
Soit, nos patients nous font confiance pour incarner la science, le savoir, le responsable. Pour autant, est-ce qu’on le leur renvoie ? Est-ce qu’on leur explique qu’en soit, ils ne savent pas si j’ai été vacciné, si j’ai passé ma semaine à lire Milgram ou si j’ai partagé une seringue avec mes potes toxico ? Et si je le leur dis, est-ce que ça ne consolide pas ma position d’expert ? Finalement, est-ce que déconstruire ce qui se joue en thérapie, ça ne le renforce pas encore plus ? Sommes-nous condamnés à incarner cette position, esclave d’un concept qui pourrait aisément ressembler au scénario du prochain film M. Night Shyamalan ?
En conclusion, cette semaine, j’ai été à deux doigts de découvrir la soumission à l’autorité. C’est con, il parait que d’autres ont déjà bossé dessus… Certes, la relation de confiance est au centre de notre pratique et il serait pertinent de questionner si la rigidité du cadre que l’on nous impose, avec ses protocoles, ses distances réglementaires, ses conditions aseptisées nécessaires au bon déroulement de nos entretiens n’augmentent pas significativement cet effet. Quant à savoir si l’on en parle avec son patient, je vous laisse dans l’expectative. Qui sait, soit je n’ai pas la réponse, soit je négocie les droits du prochain film de M. Night…
T. Persons
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