L’insertion socio-professionnelle en ville et à la campagne : des réalités très contrastées

Au sein de notre petit pays, les réalités peuvent être très contrastées entre zones urbaines et rurales. Mobilité, accès aux services, emploi… La vie en ville et celle à la campagne ne se ressemblent clairement pas, et ce, « simplement » en parcourant une poignée de kilomètres. Et qu’en est-il au niveau du travail social ? Concrètement, quelles sont les réalités vécues sur le terrain, en ville et à la campagne, plus particulièrement dans le domaine de l’insertion et de la formation ?
[DOSSIER] :
- Assistantes sociales en CPAS : le métier change-t-il entre ville et campagne ?
- Mobilité et logement : deux grands défis de l’accompagnement social en milieu rural
- Travailler dans un CPAS : les missions sont-elles différentes en ville et à la campagne ?
Nous avons rencontré plusieurs travailleuses sociales. Leur point commun : elles sont travailleuses sociales et bossent en CPAS ou dans le domaine de l’insertion. La ressemblance s’arrête là, car leurs réalités sont bien différentes. Pourtant, seule une poignée de kilomètres séparent leurs lieux de travail. Alexiane travaille dans une zone semi-rurale, depuis sa sortie des études, soit 9 ans. Mélanie travaille en zone rurale depuis 5 ans. Muriel travaille en milieu urbain, dans une structure relai d’une association de CPAS. La mission de cette structure est de mettre en place le volet insertion et formation de l’accompagnement social des bénéficiaires.
L’insertion est parfois le parent pauvre d’un accompagnement très soutenu
En milieu très rural, Mélanie et sa collègue s’occupent de tout. Au sein de leur CPAS, elles sont deux assistantes sociales, aussi, la question de déléguer ou de se spécialiser dans telle ou telle matière ne se pose pas. Elles font également la part belle à l’écoute et à l’accompagnement des personnes, n’hésitant pas, notamment, à se déplacer à domicile pour effectuer des démarches avec les personnes qui ne sont pas motorisées. Ce choix est assumé, en termes de service rendu à la population de la commune.
« On n’a pas toujours le temps de tout faire non plus », pointe Mélanie. « Notamment, on n’a pas le temps d’accompagner correctement pour l’insertion. On le fait quand même, mais c’est bâclé. On devrait voir les gens toutes les semaines ou tous les quinze jours pour faire le point avec eux sur leurs recherches, mais on les voit quand c’est possible, donc moins fréquemment. » En outre, elles doivent composer avec le manque de services partenaires pour les aider à remplir cette mission. « On fait avec, on cherche les services les plus proches », confirme Mélanie.
Un manque de choix et de possibilités au niveau des formations
En milieu semi-rural, si l’offre est plus développée, le constat reste similaire. Alexiane salue le nombre de services existant au sein de la petite ville où elle travaille. Cependant, elle pointe certaines lacunes : « Par exemple, au niveau des formation, de l’insertion socio professionnelle, nous avons peu de partenaires, et ce sont toujours les mêmes qui reviennent. Concrètement, une dame va inévitablement se retrouver à faire du nettoyage. Pour les formations qualifiantes, il faut un véhicule personnel afin de s’y déplacer. Il y a toujours ce problème lié à la mobilité personnelle, qui est un gros frein en zone rurale, pour les personne n’ayant pas le permis, ou pas de véhicule. Ici, nous n’avons pas de taxi social. Ça fait longtemps que le projet est sur la table et ce serait bien qu’il arrive. »
Une situation encore plus complexe pour les étudiants
Dans les deux cas, la situation se complexifie d’autant pour les étudiants : « Soit, ils doivent trouver un logement qui entre dans leur budget, ce qui n’est pas facile, soit, ils doivent prendre le train, ce qui implique minimum 2h30 à 3h de transports en commun par jour », explique Alexiane. Dans la commune où travaille Mélanie, ces trajets quotidiens ne sont tout simplement pas possibles, faute de transports en commun. Dès lors, les étudiants doivent impérativement trouver un logement dans la ville où ils étudient ou s’offrir le luxe d’un véhicule personnel et de tout ce qui l’accompagne.
Et quand ce sont les bénéficiaires qui désertent…
En milieu urbain, les facilités sont autres, aussi bien au niveau des structures d’insertion socio professionnelles qu’en termes de mobilité ou d’accès aux études supérieures. Les problématiques rencontrées par les travailleurs sociaux sont, quant à elles, d’une toute autre nature, comme l’explique Muriel. « Dans la structure où je travaille, on s’occupe d’insertion et d’orientation professionnelle, en partenariat avec une association de CPAS. Avant le Covid, on recevait beaucoup de personnes aux profils assez variés, mais globalement, les plus demandeurs de nos services étaient quelque part ceux qui en avaient le moins besoin. Les personnes les plus éloignées de l’emploi étaient aussi celles qui étaient le moins demandeuses d’aide et qui venaient par obligation, sous la contrainte. »
Selon elle, les rapports avec les CPAS restent très limités : « Nous n’avons jamais eu énormément de rapports avec les CPAS, hormis pour leur communiquer nos rapports sur les bénéficiaires envoyés. En fait, nous sommes tenus de faire état des absences aux assistants sociaux. Pour le reste, si on ne va pas vers eux chercher des infos, poser des questions, susciter un échange, rien ne se passe. Personnellement, j’ai toujours été chercher ces infos, poser des questions, et parfois remettre en question certaines demandes, notamment lorsque la personne n’est clairement pas prête au marché de l’emploi ou de la formation. »
Depuis la crise sanitaire, la situation s’est encore détériorée, constate-t-elle : « Avant le Covid, en insistant, c’était encore possible d’avoir un échange, même minime. Depuis le Covid, toutes mes interpellations restent lettre morte. Il n’y a plus de suivi, plus de réponse, plus rien, hormis pour nous demander les rapports. En fait, avant le Covid, j’avais l’impression que mon travail avait un sens, que j’arrivais à aider des personnes. Peut-être pas toutes celles que j’aurais voulu, mais au moins une partie. Depuis le Covid, j’ai le sentiment d’être inutile. Les gens ont disparu. Je passe parfois des journées entières sans qu’aucun de mes rendez-vous ne vienne. »
Si les réalités sont fortement contrastées entre, d’une part, les zones rurales qui doivent composer avec un manque de relai au niveau des formations et des possibilités d’emploi, sans parler du frein de la mobilité et les zones urbaines où c’est le suivi qui pose problème, force est de constater que le secteur de l’insertion socio-professionnelle peine encore à remplir sa mission.
Propos recueillis par MF, travailleuse sociale
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