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Travailler dans un CPAS : est-ce si différent en ville et à la campagne ?

17/06/25
Travailler dans un CPAS : est-ce si différent en ville et à la campagne ?

En Belgique, les contrastes entre milieux urbains et ruraux sont parfois frappants. En quelques kilomètres à peine, les conditions de vie changent : mobilité, accès aux soins, emploi, services publics… Les enjeux ne sont pas les mêmes en ville qu’à la campagne. Mais qu’en est-il du travail social ? Comment ces différences territoriales influencent-elles le quotidien des travailleurs sociaux, les besoins des publics et les pratiques d’intervention ? Zoom sur les réalités du terrain social en zone urbaine et rurale.

[DOSSIER] :

Nous avons rencontré plusieurs travailleuses sociales. Leur point commun : elles sont assistantes sociales et bossent en CPAS. La ressemblance s’arrête là, car leurs réalités sont bien différentes. Pourtant, seule une poignée de kilomètres séparent leurs lieux de travail...

Alexiane travaille dans une zone semi-rurale, depuis sa sortie des études, soit 9 ans. Mélanie travaille en zone rurale depuis 5 ans. Valérie, quant à elle, travaille et habite en zone urbaine depuis 20 ans. Actuellement, elle n’est plus engagée en CPAS, mais elle y a fait la majorité de sa carrière. Nous sommes partis à la découverte de leurs réalités professionnelles.

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L’humain avant tout

Pour Mélanie, qui travaille en zone rurale, ce qui prime, ce sont les personnes avant tout. En tant qu’assistante sociale, c’est la relation humaine qui donne du sens à son métier : « J’avais toujours dit que je ne voulais pas bosser en CPAS, car je connaissais surtout la réalité dans les villes, où on ne prend pas le temps avec les gens. Mais ici, ce n’est pas du tout la même chose. Il faut déjà être très conciliant, à l’écoute, prendre le temps de créer une relation de confiance, mettre la personne à l’aise. »

Ce lien de confiance, elle le considère comme la clé de tout accompagnement : « Je pense que le premier rendez-vous est déterminant, parce que c’est déjà vraiment compliqué pour certaines personnes de passer la porte du CPAS. Mon travail est très enrichissant, j’aime la relation de confiance et prendre mon temps avec les personnes. Mon travail c’est d’être à l’écoute des gens, les aider et les orienter au mieux. Je prends certainement beaucoup de temps pour ça, ce qui fait que je peux être débordée alors que je n’ai pas beaucoup de dossiers à gérer, mais je considère que c’est ça, mon travail. »

Enfin, pour Mélanie, l’accompagnement passe aussi par une grande souplesse sur le terrain : « Je vais pas mal chez les gens, notamment pour les demandes de fonds mazout, car certaines personnes ne savent pas se déplacer. Quand ils expliquent qu’ils ne peuvent pas venir, notamment des personnes âgées qui n’ont plus de véhicule, si on est en capacité de le faire, on se déplace. Ils font déjà la démarche de demander de l’aide, ce qui n’est pas évident, alors on ne va pas fermer la porte pour un déplacement. On est beaucoup dans l’humain. On aide comme on peut, on les reçoit rapidement — dans la semaine — et on évite de les faire attendre ou de les forcer à venir si on peut faire autrement. De manière générale, les bénéficiaires sont très collaborateurs. »

Le meilleur des deux mondes

Oeuvrant en zone semi-rurale, Alexiane évoque une réalité professionnelle particulièrement plaisante, qui combine le meilleur des deux mondes : facilités d’accès aux services partenaires et possibilité de prendre le temps pour les bénéficiaires. « On a plus de temps. On est dans une petite ville, mais qui est en zone rurale, donc on a les avantages d’avoir pas mal de services mis en place pour les gens. On a un service d’insertion professionnelle, une aide à la recherche de logement, des logements d’urgence et d’insertion, un prêt de voiture pour les recherches d’emploi, et au CPAS, on est plusieurs assistantes sociales, chacune avec sa spécificité, même si on fait toutes des permanences générales. On traite nos dossiers de A à Z, on peut en faire le suivi, on peut faire des visites à domicile, etc. Pour ma part, je suis à temps plein et j’ai uniquement 40 dossiers, mais il est vrai qu’on n’a pas le temps de tout faire nous-mêmes, on se répartit les compétences et on fait appel à des partenaires. »

Une pratique « à l’ancienne » et diversifiée

Mélanie insiste sur la richesse et la variété de son quotidien professionnel en zone rurale : « J’aime bien mon travail, mais c’est sport ! Nous ne sommes que deux assistantes sociales et nous faisons de tout, toutes les deux : aide sociale, revenu d’intégration sociale, fonds mazout, allocations pour les personnes handicapées. Il n’y a que pour la gestion de l’ILA et la médiation de dettes que nous nous sommes spécialisées. Sinon, on passe d’un secteur à un autre, c’est vraiment bien, il n’y a pas de routine où on fait toujours la même chose. »

Une polyvalence qui a aussi ses avantages, selon elle : « Nous avons peu de dossiers : en tout, environ 30 RIS, 500 demandes d’aides diverses par an, une quinzaine de gestions budgétaires et une ILA. Mais nous faisons tout, nous ne renvoyons pas les personnes vers tel ou tel collègue, on prend tout en charge ! On a moins de dossiers chacune, mais on maîtrise plus de matières et on connaît vraiment bien les situations et les problématiques des personnes qu’on accompagne. »

Cette polyvalence a toutefois ses limites, qu’elle pointe avec lucidité. « Ce qui peut être compliqué, c’est de switcher tout le temps entre plusieurs secteurs », observe la travailleuse sociale. « C’est enrichissant, mais parfois on doit stopper ce qu’on fait pour vérifier qu’on est à jour dans une autre matière. On fait plusieurs choses en même temps. Ce n’est pas tant une question d’organisation, ce sont plutôt les délais qui se télescopent. On n’a pas toujours le temps de tout faire. Par exemple, on n’a pas le temps d’accompagner correctement pour l’insertion. »

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Quand le travail se fait à la chaîne…

Valérie, avec son expérience en zone urbaine, dresse un constat bien différent, marqué par une charge de travail croissante et déshumanisante : « Lorsque j’ai commencé en CPAS, on avait une soixantaine de dossiers à gérer chacune. Au fil du temps, c’est allé crescendo et lorsque je suis partie, j’en avais une centaine. Autant dire qu’on ne connaît pas les gens ! On ne prend plus le temps non plus pour un réel accompagnement, ça devient du travail à la chaîne. »

Cette pression a fini par éroder son engagement et le sens qu’elle trouvait dans son métier : « Je suis partie parce que j’ai eu une autre opportunité, mais aussi car je sentais que je perdais le sens de mon métier. On ne fait plus que remplir des papiers et gérer des situations absurdes. En plus, il n’y a rien à faire, au fil du temps, on peut finir dégoûtées, car beaucoup de gens profitent du système. Ils usent de tous les filons possibles pour obtenir plus d’aides, et la plupart du temps ça passe, car on ne vérifie rien. D’une part, on n’a pas le temps et d’autre part, on ne le prend plus. »

Elle évoque enfin un malaise plus large, partagé selon elle par de nombreux travailleurs dans les grands CPAS : « Toutes mes collègues partaient en visites à domicile une à deux demi-journées par semaine, et pourtant personne n’allait chez personne... Et c’est le cas dans tous les gros CPAS. Il y a des abus et une grosse lassitude professionnelle, énormément de maladies, de turn-over ou, au contraire, les gens se planquent. Peu de personnes y font toute leur carrière en restant investies, surtout dans les conditions actuelles. »

Moins, mais mieux : faut-il revenir à un travail social plus humain ?

Inévitablement, l’augmentation de la charge de travail provoque un désengagement du travailleur social qui ne connaît plus les bénéficiaires dont il a la charge. Et cela apparaît très rapidement ! L’hyper-spécialisation des travailleurs sociaux, la multiplication (dans certains cas) des structures partenaires permet aux travailleurs de prendre en charge de plus en plus de dossiers, mais à quel prix ? La relation de confiance, voire même la relation humaine, en est le tribut.

Et si une réaction à l’augmentation du nombre de personnes à prendre en charge ne résidait pas dans la création, toujours plus importante, de spécialisations internes et externes, mais en la remise au goût du jour d’une forme de travail « à l’ancienne », certes plus énergivore, mais plus qualitative pour l’ensemble des parties ? Moins, mais mieux, en somme. De plus, cela permettrait mettre au jour les besoins réels des CPAS.

MF - travailleuse sociale

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