Chronique d’un psy : "L’avis des psy dans les médias"

Avec un décalage évident, T. Persons nous fait part de ses récentes expériences lorsqu’il s’agit de prendre la plume pour la presse écrite.
Cette semaine, alors que mon regard cynique sur l’actualité m’a fait croiser l’intention de l’État de mettre les moyens pour récupérer les aides Corona indûment perçues avec l’information comme quoi les mécanismes décrits dans les Pandora Papers n’étaient pas forcément illégaux, j’ai été arraché à ma comparaison par un appel bien particulier : une journaliste souhaitait m’interviewer.
À première vue, j’étais tout content. Enfin ! Après tant d’années à cisailler des jeux de mots et des phrases beaucoup trop longues, la reconnaissance, inespérée, tel un soleil dans la grisaille matinale, vient fleurir mon égo. Bon, j’ai vite déchanté en apprenant que l’objet de la demande, qui était plus due au hasard qu’à mes qualités littéraires, sortait du champ de mes compétences. Du coup, j’ai décliné.
Vous me direz, super, T. Persons, mais y a-t-il réellement matière à écrire une chronique ? A priori, non, si on en était resté là. La personne, d’une manière très bienveillante, insiste. Finalement, que cela ne soit pas mon champ d’expertise, on s’en masse, on veut juste un avis de cinq lignes sur un sujet bateau où aisément je pourrais trouver des choses à dire. En soi, outre ma légendaire incapacité à dire non, cela m’a renvoyé a plusieurs difficultés que je me suis permis de partager.
Donner son avis, c’est s’exposer
La première, c’est qu’en soi, en qualité de psychologue clinicien, il est difficile d’avoir un avis sur tout, d’autant plus quand on a l’impression de ne pas être pertinent sur la question. Il semble que de plus en plus de journalistes nous donnent la parole pour éclairer le débat de notre savoir. Sauf que moi, mon savoir, il est relatif. Mes opinions sont empreintes d’un doute incessant et déblatérer des certitudes sur cinq lignes, alors qu’un débat animé de trois heures ne me permettrait pas d’expliciter mon point de vue, c’est ardu ! Et puis, il est compliqué d’avoir des certitudes sur une question alors que les seules choses dont je suis certain dans la vie, c’est que le feu, étonnamment, ça brûle et que le facteur ne sonne jamais pour délivrer le colis.
De plus, admettons que je sois suffisamment éclairé sur la question, donner son avis, c’est s’exposer. Or, d’expérience, j’ai le sentiment qu’exprimer quelque chose, c’est prendre le risque de devoir débattre avec des gens qui, pour paraphraser quelqu’un de plus talentueux que moi, rêveraient de me voir pendu par les parties intimes avec les tripes du dernier virologue encore vivant. Ce qui, admettons-le, n’a rien de réjouissant. Et je ne parle même pas de mes patients qui pourraient se poser la question de ma loquacité face à un sujet précis, alors que s’ils venaient me voir avec la même demande, ils me verraient avoir tendance à les laisser trouver par eux-mêmes leurs propres pistes de solution.
Donc, j’explique à la journaliste la raison de mon refus, lui précisant que je suis mal à l’aise avec l’idée d’apporter un savoir qui s’apparente à du prêt-à-porter psychologique alors que l’essence même de la démarche d’un accompagnement psy, c’est de faire du sur mesure, quand elle me coupe en me disant qu’il fallait qu’elle boucle son article, agacée par le fait de partir bredouille.
En conclusion, j’ai lâchement passé la main à une consœur, qui, j’imagine, doit me maudire sur cinq générations. Enfin, à défaut d’être grillé par une partie de la presse francophone, il va falloir se résoudre à me lire dans le Guide Social. N’en déplaise à certains qui s’en donneront à cœur joie dans les commentaires, que je ne lis malheureusement pas. Je ne peux que vous adresser tout mon amour et ma sincère empathie, tout en vous priant chaleureusement de laisser mes parties intimes tranquilles.
T. Persons
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