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UNE AUTRE VIE DE PSY - Épisode XVI : la marche des zombies

25/05/20
UNE AUTRE VIE DE PSY - Épisode XVI: la marche des zombies

Dans cet épisode de la vie tortueuse de T. Persons au temps d’une crise sanitaire, il est question d’un retour à la vie normale…

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité ne serait pas forcément due au hasard… -

Ces dernières semaines, j’ai vu des patients et des soignants tomber sous les balles d’un ennemi invisible à l’œil nu. J’ai entendu et ressenti la souffrance, sous toutes ses formes. J’ai expérimenté la solitude et la détresse. Je n’étais pas le seul et cela allait laisser des traces. Officiellement, on était début mai et le déconfinement était de mise. Pour le quidam, cela impliquait la prochaine réouverture des magasins et une indication qu’il allait bientôt pouvoir retourner travailler. Pour les soignants, le retour à la normale n’était pas une bonne nouvelle. Ce 4 mai sonnait la reprise des soins ambulatoires, et le moins que l’on puisse dire, c’est que personne n’était prêt. On venait de fermer une unité de COVID-19, ce qui était une belle victoire, mais mes collègues étaient exténués après avoir combattu durant des semaines sans répit. Pourtant, on exigeait de nous de reprendre nos activités, avec entrain, tout en respectant des mesures de sécurité. Il fallait balayer la crise, faire comme si rien ne s’était passé, alors qu’on n’en avait pas encore fini : il y avait toujours de nouvelles hospitalisations et nous n’avions reçu aucun renfort. Des promesses, des applaudissements et du chocolat, voilà comment on rétribuait le système des soins de santé en 2020… On nous vendait un retour à la normale, en somme, même si plus rien ne serait comme avant. On connait tous au moins quelqu’un qui a perdu un proche, si l’on n’est pas soi-même en deuil. Cela ressemblait à une fin de guerre, même si l’ennemi n’était pas encore vaincu… Puis, il y avait ce sentiment amer de revenir d’Afghanistan et de devoir repartir en Irak sans avoir pu souffler, ni prendre conscience de tout ce qui s’était joué sous nos yeux…

Chaque journée apportait son lot de rebondissements, on reprenait contact avec certains patients, on découvrait qu’ils étaient morts, victimes collatérales d’une tempête qui a désorganisé les acteurs des soins de santé, quoi que l’on en dise. Alors que l’on se vantait, dans les journaux télévisés, d’un taux d’occupation sous-contrôle, comme si la saturation d’un système de soin de santé ne se mesurait qu’aux nombres de lits remplis… Ils n’avaient toujours pas compris… Un taux d’occupation, ça n’a pas de cerne, ça n’est pas fatigué, ça n’a pas d’émotion et surtout, ça ne tombe pas malade. Le facteur temps était également négligé, comme si nous étions des robots inépuisables, comme si la charge de travail, les morts, les angoisses n’avaient aucun impact sur nous. Alors très vite, la colère est encore monté d’un cran. On l’avait bien compris : il n’y aurait pas de révolution. On allait nous demander d’aller dans la même direction qu’avant. Pas de changement, pas de remise en question, aucun respect pour ce que l’on fait finalement, mais surtout, pas de place pour l’humain en soi.

"Là, l’urgence, c’était l’Économie…"

J’aurais voulu vous dire que nous nous sommes organisés, qu’on s’est rebellé, qu’on a revendiqué, mais non. La seule chose que les soignants souhaitaient, c’était du temps, du réconfort. Ils en avaient bavés, et tout leur revenait dans la pomme, comme un boomerang viral. Les bruits, les odeurs, les sensations, l’isolement… Il aurait été décent d’au moins panser nos blessures, enterrer nos morts, mais l’État en avait décidé autrement. Il fallait redémarrer les soins non urgent au plus vite. Et se taire, surtout, se taire. Alors, on s’est mis en marche, tels des zombies et on a commencé à travailler, en se disant qu’un jour ça changerait… Foutu sacerdoce.

J’aurais voulu vous dire que nous avons eu du soutien, que l’on nous a compris, qu’on s’est joint à notre cause, mais à peine les Zara, les Casa et autres Action étaient ouverts que l’on cessait de nous applaudir à 20h. Une distraction en chasse une autre… Du pain et des jeux, ni plus ni moins.

J’aurai voulu vous dire qu’à un moment, le Politique a ouvert les yeux, qu’il s’est rendu compte de ses bévues, de son cynisme et de son incompétence à gérer cette crise, mais nous n’avions plus voix au chapitre dès que le nombre de morts à commencer à baisser. Là, l’urgence, c’était l’Économie… Adieu la santé, c’était sympa durant quelques semaines, on se reverra pour la deuxième vague…

Bref, j’aurais voulu vous dire des choses positives, mais en déambulant dans les couloirs de mon hôpital, à croiser les mêmes têtes qu’avant, le sourire masqué, les traits tirés, rien de joyeux ne m’est venu. Alors, j’ai décidé de me poser dans un coin, de réfléchir un instant. Puis, mon bip a sonné et je me suis mis en route : une nouvelle journée, une nouvelle demande, un nouveau patient. Décidément, rien n’avait changé…

T. Persons

[La première saison]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix
 Épisode VIII : le poids des secrets
 Épisode IX : la ligne rouge
 Épisode X : autour d’un verre
 Épisode XI : savoir dire non (partie I)
 Épisode XII : savoir dire non (partie II)
 Épisode XIII : un métier dangereux
 Épisode XIV : les idées noires...
 Épisode XV : l’effet papillon
 Épisode XVI : un état de choc
 Épisode XVII : une rencontre inopinée
 Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
 Épisode XIX : un retour à la réalité
 Épisode XX : la disparition
 Épisode XXI : l’appel à l’aide
 Épisode XXII : la déposition
 Épisode XXIII : et soudain, la lumière…
 Épisode XXIV : l’amour fou

[La deuxième saison]

 Épisode I : en thérapie...
 Épisode II : l’art de coller des étiquettes
 Épisode III : au chômage...
 Épisode IV : prêt à l’emploi...
 Épisode V : à l’hôpital...
 Épisode VI : le premier jour…
 Épisode VII : faire son trou
 Épisode VIII : la meute
 Épisode IX : les retrouvailles
 Épisode X : un nuage noir, au loin
 Épisode XI : confiné
 Épisode XII : La pénurie
 Épisode XIII : voir un soignant pleurer
 Épisode XIV : Connectés
 Épisode XV : tout est sous contrôle



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