Chronique d’un psy : "Le psy est-il sponsorisable ?"

Effet de mode ou réalité de notre pratique du futur ? T. Persons s’interroge sur le concept de sponsoring en psychologie clinique.
Cette semaine, on m’a contacté pour quelque chose de peu banal. J’ai été approché par une société qui vend un service d’agenda électronique pour en faire la publicité dans une chronique auprès des psychologues cliniciens. Enfin ! Toutes ces années à dégobiller ma verve à coup de piges dans le Guide Social enfin récompensées par une promesse de vie d’influenceur. À moi le faste des yachts à Dubaï et les posts Instagram caliente où j’expliquerais ma vie vertueuse à d’autres psychologues, sans devoir mettre un pied dans un cabinet de consultation ! La reconnaissance par le sponsoring, je ne l’avais pas vu venir.
Vous me direz, en quoi est-ce du sponsoring ? L’idée, c’était de parler de la magnificence de cet outil révolutionnaire. En échange ? Un abonnement d’un an gratuit. Ah. Un pot-de-vin, donc ? Non ! Du sponsoring, on vous a dit. Dans un premier temps, je me suis dit, pourquoi pas ? J’ai donc demandé à pouvoir tester l’outil. Tout en espérant qu’il soit bien utile, je m’en voudrais que ma première chronique psy lifestyle soit un poil critique vis-à-vis du produit que je devais utiliser. Ah. Là aussi, il y avait malentendu. Il ne s’agissait pas de tester l’outil, mais d’en vanter les mérites et potentiellement de m’engager à ne pas utiliser ceux vendus par la concurrence.
Soit, après avoir poliment décliné l’offre et promis que tout cela resterait entre nous, je me suis mis à réfléchir. De fait, il n’est pas anodin pour des professionnels de soins de santé d’être la cible de commerciaux affutés qui proposent des essais, des échantillons gratuits, si on vient les écouter nous vanter les mérites de leur produit. J’avais le sentiment que les psychologues étaient assez peu courtisés, mais finalement, le jour où une maison d’édition vient frapper à notre cabinet pour nous proposer d’orienter nos patients vers un livre plutôt qu’un autre, que fera-t-on ? Qu’en est-il pour ces ouvrages ou applications de méditation, pleine conscience, auto-hypnose ou cohérence cardiaque ?
Clairement, les représentants de firmes pharmaceutiques débordent d’idées
Avant tout, avons-nous légalement le droit, en regard de notre déontologie de devenir des publicités ambulantes ? A priori, non. En tout cas, la frontière est floue. La jurisprudence nous renvoie qu’utiliser la noblesse de notre profession à d’autres fins que celle de la clinique est répréhensible pour les organes de déontologie de la Commission des Psychologues. Quand bien même, moralement, avons-nous le droit d’orienter le choix de consommation de nos patients ? Non. Mais si l’outil est vraiment de bonne qualité et que même sans sponsoring, on irait jusqu’à la promouvoir ? Un psychologue qui se fait sponsoriser par une petite maison d’édition spécialisée dans les troubles des conduites alimentaires et qui propose des outils qui pourraient avoir un impact sur la santé mentale de ses patients, c’est toujours non ?
Clairement, les représentants de firmes pharmaceutiques débordent d’idées pour que les médecins prescrivent leur molécule et, même si les enjeux financiers sont moins colossaux que pour la médecine, il ne faut pas perdre de vue qu’il est probable qu’un jour, la santé mentale ait un vrai impact dans un budget de soin de santé.
En conclusion, amies et amis psychologues, préparons-nous. Ils arrivent potentiellement à nos portes et ils sont prêts à nous faire croire que nos patients ont besoin de leurs produits. Certes, je digresse par rapport à toute cette histoire de sponsoring, mais rassurez-vous, ce n’est pas le soleil de Dubaï qui me fait perdre le fil de mes idées. Tout au plus, il s’agit de pensées ruminantes qui ne demanderaient qu’à se déplier et s’organiser au travers d’un planning ou d’un agenda électronique novateur et audacieux, dont je tairais malicieusement le nom.
T. Persons
[Les autres chroniques d’un psy] :
- "Quand le psy déménage"
- "Quand un psy s’en va"
- "La consultation, avec ou sans TVA ?"
- "Afficher le prix d’une consultation ?"
- "Rififi à la Compsy"
- "Une question de confiance envers son thérapeute"
- "L’obligation vaccinale"
- "Un effort pour aider les psychiatres"
- "Des psy itinérants ?"
- "Le remboursement des soins psychologiques"
- "De la publicité pour la psychologie de 1ère ligne"
- "L’uberisation des psychologues"
- "A propos des demandes de rapports psychologiques"
- ’’Comment vont les psy ? ’’
- "Un psy pour sauver les indépendants en détresse ?"
- "Les psy, ça ne compte pas…"
- "Vaccinez les psy !"
- "L’art de communiquer comme la Compsy"
- "Le savoir-faire du psychologue"
- "Un petit coup de pub…"
- "Je ferai le virement…"
- "Petit pas vers le remboursement des entretiens"
- "Une psychologue au Celeval : une bonne nouvelle ?"
- "Psychologue clinicien : un métier dangereux ?"
- "La position d’expert"
- "Un psychologue face au tracing"
- "À propos de la précarité"
- "La thérapie masquée"
- "La vidéo-consultation en thérapie"
Ajouter un commentaire à l'article