Chronique d’un psy : « Quand un psy démissionne »
Il y a des moments charnières dans la carrière d’un psychologue, T. Persons revient nous conter un des siens : celui où il a décidé délibérément de quitter son job.
Cette semaine, il y avait comme un arrière-goût dans ma bouche, quelque chose d’amer, un relent de noirceur, quelque chose de sombre, de toxique, de mauvais. Cela me prend souvent ces temps-ci… Bien évidemment, le premier réflexe a été de tendre plus attentivement l’oreille, des fois que le symptôme proviendrait simplement de l’écoute du nouveau single de Mylène Farmer qui provoque en moi un saignement continu du conduit auditif. Il n’en était rien. C’est alors que mes yeux ont glissé sur la date du jour qui valdinguait joyeusement sur l’écran de veille de mon ordinateur, comme pour me rappeler à tout jamais. Aujourd’hui, on célèbre la fin de quelque chose : il y a sept ans, jour pour jour, j’ai décidé de démissionner de mon poste de psychologue.
Partir, pour un psy, ce n’est jamais aisé. Il y a d’abord le sentiment d’échec. Qu’est-ce que j’ai loupé ? Ne peut-on pas y remédier ? Cette question, je la tournais cinquante fois dans ma tête, tous les jours. Il y a des contextes où l’on n’y peut rien, sauver sa peau, c’est une question de survie. Pourtant, il reste la culpabilité. Le sentiment d’abandonner l’équipe, les collègues et bien évidemment… les patients. S’en aller, pour eux, cela peut être éminemment violent. Comprendront-ils ? Doit-on réellement leur expliquer qu’un jour de plus dans cette institution, cette entreprise ou cette structure et je risque de vriller comme une personne atteinte de dyschromatopsie face à une robe Desigual ?
Trouver le bon endroit où travailler en tant que professionnel de la santé, c’est primordial
Être psy, c’est faire un métier formidable, plein de sens, utile et très valorisant. Du coup, le hasard de la vie s’est dit qu’il serait injuste que des personnes puissent profiter d’un si beau job, sans un tout petit peu expérimenter les joies de la détresse. On nous a donc cadenassé dans des institutions nébuleuses, souvent fort hiérarchisées, d’une manière un peu détournée, en nous faisant croire à l’illusion d’une structure horizontale, communautaire, alors que c’est toujours celui qui a le plus gros stéthoscope qui commande. Pour ma part, on m’a malmené, isolé, humilié, contrôlé et tout cela avec un joli sourire de circonstance, le même qu’arborent les familles heureuses dans les publicités pour de la pâte à tartiner, celui de façade, celui qui sonne creux et qui vous donne l’impression de vous noyer dans un océan de pétrole alors que les collègues prennent naïvement des photos souvenirs.
Bref, trouver le bon endroit où travailler en tant que professionnel de la santé, c’est primordial, ça permet de s’investir pleinement sans se brûler les ailes. En effet, nous sommes notre propre outil. Si le cadre n’est pas sain, c’est l’ensemble qui pourrit. Cela m’a demandé du temps avant de prendre conscience qu’il y avait des endroits qui m’étaient toxiques et d’autres où je pouvais sereinement m’épanouir. Vous me direz, mais finalement, est-ce l’endroit qui est toxique ou le psychologue qui participe à la toxicité du lieu ? Je vous dirais que j’étais certainement aussi inapproprié pour eux qu’ils l’étaient pour moi. Une valse, ça se danse à deux, mais ce qui est certain, c’est que si l’un des deux n’a plus envie de danser, il s’écarte et il s’en va. Il fait face, il tente d’assurer la continuité des soins, mais il ne se néglige pas. Il ne s’oublie pas, il se respecte.
En conclusion, il y a des moments où fuir demande du courage. Et je pourrais avoir une pensée émue pour tous ces psy qui n’ont pas encore franchit le pas, qui souffrent d’une situation qui ne leur convient pas. L’expression « Les cordonniers sont les plus mal chaussés » prend peut-être tout son sens dans ce contexte mais, pour le coup, il serait pertinent de compléter le propos en disant pragmatiquement qu’un jour viendra où vous trouverez chaussure à votre pied. Personnellement, je ne l’ai jamais regretté !
T. Persons
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