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Mobilité et logement : deux grands défis de l’accompagnement social en milieu rural

30/05/25
Mobilité et logement : deux grands défis de l'accompagnement social en milieu rural

Dans un pays aussi petit que le nôtre, quelques kilomètres suffisent à faire basculer les réalités de terrain. Entre zones urbaines et campagnes, les contrastes sont frappants : mobilité, accès aux services, logement, emploi… Et pour les travailleurs sociaux, ces écarts se traduisent par des défis concrets et parfois décourageants. En milieu rural, accompagner signifie souvent composer avec l’isolement, le manque de solutions concrètes et des arbitrages difficiles. Trois professionnelles partagent leurs expériences de terrain.

[DOSSIER] :

Alexiane exerce depuis neuf ans dans une zone semi-rurale, Mélanie depuis cinq ans en milieu rural. Toutes deux travaillent au sein d’un CPAS, et leur constat est clair : la mobilité et l’accès au logement représentent les deux principaux freins de l’accompagnement social hors des villes. Et en milieu urbain ? Valérie, qui habite et travaille en ville depuis vingt ans, apporte un autre éclairage. Si elle n’est plus aujourd’hui engagée en CPAS, elle y a effectué l’essentiel de sa carrière. Son témoignage illustre d’autres formes de précarité, bien présentes elles aussi.{{}}

Rurale ou semi-rurale : une même carte, deux lectures de la mobilité

Pour Alexiane, la mobilité est un des freins principaux à l’accompagnement social en zone rurale : « Nous avons la chance d’avoir le train qui passe ici, mais il n’y a quasiment pas de bus hors du trajet scolaire et c’est un gros souci. Les bénéficiaires qui habitent dans le centre de la commune ont encore des facilités, mais pour ceux des villages, c’est un gros problème. Certains ont des voitures ou peuvent compter sur leurs voisins, pour les autres, c’est compliqué. Quand je convoque certaines personnes, je sais qu’elles sont susceptibles de venir à pied, parfois sur de longues distances... Jusqu’à 10 km ! »

Un constat qui révèle à quel point l’isolement géographique ajoute une couche de complexité dans l’organisation quotidienne des accompagnements. Cette difficulté impacte aussi bien les déplacements ponctuels que les suivis à long terme. « Nous n’avons pas non plus le temps ou la possibilité de programmer tous les rendez-vous au domicile des personnes ! Quand on envoie certains bénéficiaires en maison d’accueil, bien souvent, on n’a pas le choix que de les conduire, car c’est impossible d’y aller en transports en commun. Nous avons une camionnette, et il m’est déjà arrivé de conduire les gens, mais nous n’avons pas non plus le temps de le faire de manière systématique alors parfois, ils doivent se débrouiller. Le travail social se complexifie et on sait qu’en CPAS, c’est environ 2/3 d’administratif, donc ça laisse peu de temps pour d’autres démarches. Pour les jeunes qui font des études supérieures, la mobilité est une complexité supplémentaire. J’essaie de les convoquer durant les congés scolaires, mais ce n’est pas toujours possible et parfois, je dois les faire venir de la ville où ils kotent. »

Mélanie, qui travaille également en CPAS mais en zone rurale, dresse un constat sensiblement différent. Pour elle, la mobilité n’est pas le principal problème rencontré dans son accompagnement quotidien des bénéficiaires : « Pour habiter dans un petit village, il faut d’office avoir son permis de conduire, on n’a pas de bus, hormis les bus scolaires. La plupart de nos bénéficiaires ont d’ailleurs leur permis de conduire et leur véhicule, sauf les étudiants. On a un taxi social, en priorité pour les rendez-vous médicaux, mais qui peut être utilisé pour nos bénéficiaires qui n’ont pas le permis ou pas de véhicule, nous sommes conciliants avec cela. »

Une réalité bien différente de celle décrite par Alexiane, qui montre que l’accessibilité aux services dépend fortement des profils des bénéficiaires et des ressources locales disponibles. « D’ailleurs, nous n’avons jamais eu de souci par rapport à la mobilité, on essaie toujours de trouver une solution. Le problème concerne surtout des personnes âgées qui n’ont plus de véhicule ou ne sont plus en capacité de conduire. Pour les plus jeunes, on valorise le fait d’avoir le permis, on peut aider à passer le permis de conduire. On a d’ailleurs eu le cas avec une personne plus jeune demandeuse d’emploi sans permis qui était bénéficiaire du RIS et pour qui on avait reçu des subsides qui ont financé son permis théorique et pratique. »

Lorsque l’accès au logement est un gros frein

Le principal défi de l’accompagnement social en milieu rural, selon Mélanie, reste l’accès au logement : « Pour moi c’est le gros point noir, beaucoup plus que la mobilité. Il y a vraiment très peu de logements disponibles, et certains sont très chers. De plus, la plupart des logements sont loués de bouche-à-oreille, ce qui fait qu’aucune annonce n’est passée. En outre, de nombreux propriétaires vont refuser de louer à certains de nos bénéficiaires. »

Une situation particulièrement critique pour les personnes sortant d’Initiatives Locales d’Accueil, qui se retrouvent face à une pénurie sévère et peu de perspectives : « On peut prolonger le séjour de la famille en ILA, mais à un moment on n’a plus de subsides et on doit bloquer le logement. On n’a pas le choix que de pousser les personnes qui quittent l’ILA à chercher dans toutes les directions, à ne pas se cantonner à la région, mais à aller vers les villes, à chercher dans la Belgique entière. »

Un constat que partage Alexiane, même si son expérience quotidienne est légèrement différente en raison de l’organisation de son CPAS. « Nous avons un CPAS plus développé et, même si nous faisons toutes et tous du service social général, nous avons nos spécificités. La recherche de logement devenait vraiment un problème, ça nous prenait beaucoup de temps, alors notre hiérarchie a engagé un éducateur spécifiquement pour ça », observe-t-elle.

Elle souligne, elle aussi, la pénurie de logements accessibles et la difficulté d’assurer une solution durable pour les bénéficiaires : « De temps en temps, l’un ou l’autre logement est plus abordable, mais il sera dans un village plus reculé où il faut d’office disposer de son propre véhicule, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Ou alors, ce seront des logements ’à problèmes’ où les gens ne restent pas, et le souci de trouver un logement se posera à nouveau. Ici, au CPAS, nous avons des logements de transit et d’urgence, et il nous arrive régulièrement de prolonger le séjour des gens lorsqu’ils ne trouvent pas à se loger. »

Et en ville ? La part belle aux marchands de sommeil

En ville, l’accès au logement est aussi un problème, même s’il ne se situe pas nécessairement au même niveau. Valérie, qui travaille et habite en zone urbaine depuis 20 ans, raconte : « Au fil du temps, l’accès au logement est devenu de plus en plus complexe. Les logements sociaux sont devenus un rêve. Pour le reste, il est clair que trouver un logement privé lorsqu’on est bénéficiaire du CPAS n’est pas évident, il y a une discrimination à ce niveau. Ajoutez le fait d’être étranger et / ou mère célibataire et les chances, déjà minces, diminuent drastiquement. »

Face à ces difficultés, certaines solutions existent, mais elles s’accompagnent souvent de compromis inacceptables. La précarité du logement pousse parfois à accepter l’inacceptable, ce qui place les travailleurs sociaux dans une position éthique délicate : « J’ai déjà visité des logements qui sont une véritable honte : moisissures, insectes, murs troués de part en part, portes qui ferment à peine… Nous avons notre lot de marchands de sommeil et avec le temps et l’augmentation de la difficulté d’accès au logement, leur part est devenue de plus en plus grosse. C’est aussi là que nous faisons face à un véritable dilemme : jusqu’à quel point faut-il dénoncer ? Nous savons que, dans certains cas, si nous entrons en contact avec le propriétaire pour lui signifier les défauts de son logement, le lendemain, toute une famille sera à la rue. Concrètement, bien souvent, nous nous taisons, nous laissons faire, car un logement reste la première marche vers l’accès à toute une série d’aides sociales, mais aussi à un emploi qui, lui, sera la clé de l’accès à un meilleur logement. »

Logement, mobilité, accès aux services, à l’emploi, à la formation : les travailleurs sociaux, qu’ils interviennent en milieu rural ou urbain, doivent composer avec une réalité complexe. Ces défis mériteraient sans doute une réflexion globale sur les modes d’accompagnement, ainsi qu’un usage renforcé des technologies modernes pour améliorer la communication, le suivi et le recueil de données.

Propos recueillis par MF, travailleuse sociale

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