Chronique d’un psy : « Pourquoi ne pas tutoyer ses patients ? »
Dans cette nouvelle chronique, T. Persons, psychologue clinicien, s’interroge sur la distance en thérapie. Est-il de bon ton de tutoyer ses patients ? Quels enjeux, Quels dangers ?
Savez-vous qu’il y a des psy qui tutoient tous leurs patients ? Dans le genre particulier, ça ne vous titille pas, vous ? Bien évidemment, on ne parle pas ici du gars que l’on suit depuis belle lurette et de celle qui a 10 ans ou qui avait dix ans quand elle a commencé le suivi. Il n’est pas question non plus dans mes propos d’un essai malencontreux, dans une pratique réfléchie où de temps à autres, le « tu » est lâché de manière saugrenue, non volontaire. Inconsciente, diront ceux qui font de la thérapie à l’horizontale, en fumant la pipe et en lisant des essais d’un homme qui fait des phrases beaucoup trop longues et sans ponctuation.
Non, non, non. Il y a des psy qui décident volontairement de tutoyer chaque patient. CHA-QUE patient. Tous, sans exception, sauf dans les cas où, par lapsus, ils lâcheraient un « vous » par inadvertance. Auquel cas, le ou la professionnel·le s’excuserait platement et reprendrait le tutoiement. Un joli « tu » aussi familier qu’un paquet de mouchoirs sur la table-basse d’un psy ! Je me suis toujours demandé qui faisait ce genre de chose et pourquoi ? Donc, j’ai été à la rencontre d’une psy adepte de la familiarité extrême en l’invitant à boire un thé.
Mais, en quoi le « tu » appelle l’empathie ?
Avant tout, je lui ai demandé si, bien évidemment, on pouvait se dire « tu ». Mal m’en a pris, pour elle, tutoyer, c’est très intime, voir personnel. Diantre, me dira-t-elle, on n’a pas élevé les cochons ensemble ! Sur ce, je lui rétorquai qu’en principe, avec ses patients, non plus. Elle m’a quand même dit que là, ce n’était pas pareil. Un peu énervé, je lui ai demandé, mais en quoi c’est différent ? Ah, mais dans le cadre d’un entretien psychologique, c’est voulu, me susurra-t-elle. Entre nous, il n’y a rien, que du vide, à peine un dialogue fictif, continua-t-elle, tandis qu’avec mes patients, c’est autre chose, on n’est pas dans l’intime, c’est juste pour créer un climat de confiance, d’empathie. De la connivence, donc ? répliquai-je avec un air moitié étonné, moitié dégoûté. Mais, en quoi le « tu » appelle l’empathie ? lui dis-je, parce que s’il le faut je peux très bien tutoyer les gens, tout en étant aussi sympathique qu’un dictateur russe. Un peu vexée, elle m’a répliqué : oui, mais le vous, ça met une certaine distance !
Alors certes, j’ai voulu expliquer à ma collègue que la distance professionnelle entre un psy et son patient, c’est quelque chose d’assez bienvenu. C’est confortable, ça permet de se focaliser sur l’autre, d’être disponible pleinement, tout en définissant un cadre où le patient sait pertinemment que l’on n’est pas son pote, par exemple. Elle m’a regardé avec des yeux ronds et m’a dit : mais comment ça, ils ne sont pas nos potes ? Moi, je m’investis dans chaque suivi comme si c’était quelqu’un de ma propre famille, ok ? Vous imaginez bien qu’à partir de cet instant, je n’ai pu que m’incliner face à une argumentation aussi convaincante que complexe.
En conclusion, si êtes psychologue et que vous tenez à le rester, ne faites pas comme notre collègue. Nos patients ne sont pas nos amis. Il peut nous arriver de les tutoyer, pour de nombreuses raisons. Tout dépendra du cadre et de ce que l’on y met. Plus qu’un « tu » ou un « vous », il est fondamental de penser l’entretien afin de garder la bonne distance, celle qui vous convient et celle qui sied à l’autre. Tutoyer ou vouvoyer, est-ce une question d’éthique professionnelle ou une habitude que l’on prend et qui, finalement, n’a que très peu d’impact sur le lien thérapeutique ? Le débat est lancé, mais sinon, vous en pensez quoi vous ? Heu, tu ? Oh, zut…
T. Persons
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