Chronique d’un psy : « Pour ou contre les petites pilules ? »
Cette semaine, T. Persons s’interroge sur le rapport des psychologues cliniciens aux anti-dépresseurs et autres benzodiazépines.
Le manque de luminosité, la fine bruine dans un ciel terne et la nuit qui tombe avant la fin de la journée de travail, vous ne vous y méprenez pas, on y est, l’automne est là et clairement, moi, ça me donne envie de crever autant qu’une chanson de Mylène Farmer reprise par Indochine. Dans ce contexte, lorsque le moral est dans les chaussettes, je me pose souvent une question primordiale : on fait avec les ressources ou on délègue à Big Pharma la gestion de l’hiver ?
Cela peut paraitre un peu étrange, et j’entends les plus critiques attendre mon avis tomber comme la batterie dans In the air tonight de Phil Collins, mais j’ai un peu de mal avec l’avis de certains psychologues qui pensent que les anti-dépresseurs, on pourrait aisément s’en passer. De fait, la Belgique est une grande consommatrice de psychotropes et bon nombre de médecins traitants dégainent l’artillerie lourde au moindre symptôme. En contrepartie, un paquet de psychologues semblent ne pas être suffisamment formés sur l’impact, sur l’arrêt ou sur la prise de médication.
Par exemple, j’ai entendu cette semaine une patiente me dire que son ancien psy n’acceptait de la recevoir qu’à condition qu’elle arrête tous ses traitements. Et je me suis dit qu’il fallait être vraiment, soit très sûr de soi, soit très stupide, pour proposer ce genre de chose. En effet, un anti-dépresseur, c’est comme une chanson de Pink Floyd, on n’arrête pas comme ça en plein milieu. Et puis surtout, à diaboliser les médicaments, à clamer que cela ne sert à rien et qu’il suffit d’aller voir le psy pour aller mieux, on se donne une importance capitale et une responsabilité assez lourde.
"Quand on a le pied cassé, il est d’usage d’utiliser des béquilles pour marcher..."
Ça va peut-être vous choquer, mais je pense que je ne suis pas aussi efficace qu’une benzodiazépine. Aussi humblement que cela puisse paraitre, je crois qu’une médication, dans pas mal de cas, c’est assez adéquat. Cela permet d’apaiser, d’ouvrir un travail thérapeutique qui serait impossible si le patient était déprimé comme une chanson de Radiohead ou anxieux comme un tableau d’Edvard Munch. En revanche, on est bien d’accord qu’il y a des situations où il me semble que la pilule prescrite est aussi pertinente qu’une paire de chaussure de running pour un cul-de-jatte.
Donc, comment faire la part des choses ? Déjà, se renseigner. Se former. Savoir comment ça se prend un anti-dépresseur. Et puis, aussi, communiquer. Échanger avec le médecin traitant ou le psychiatre, par exemple. En effet, une médication pour soigner la santé mentale, c’est subtil et il ne faudrait pas se dire que dans la plupart des cas, on peut en faire l’économie.
En conclusion, mon avis est qu’il ne faut pas banaliser la prise d’une médication, mais surtout qu’il ne faut certainement pas la diaboliser non plus. Pour reprendre l’analogie que je présente souvent à mes patients, quand on a le pied cassé, il est d’usage d’utiliser des béquilles pour marcher. Certes, ce n’est pas la béquille qui soigne, mais si elle permet de continuer à avancer, il faudrait être fou de s’en passer. Par contre, donner une béquille à quelqu’un qui n’en a pas besoin, c’est un peu stupide, inutile, mais dans le doute, je préfère en parler au kiné où à l’orthopédiste avant de l’indiquer avec vigueur à mon patient.
T. Persons
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