Chronique d’un psy : « Les psy sont-ils fous ? »
L’expression rappelle que les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés, T. Persons s’interroge sur la capacité des psychologues à garder leur posture en dehors de leur cabinet. À partir de quand est-on psy ? Et à quel moment ne l’est-on plus ?
Je me souviens d’un temps où, étudiant, on me narguait au sujet de mes études. Devient-on psychologue par hasard ? Ai-je simplement des problèmes à résoudre avec ma maman ? Qui est le plus fou, le psy ou le patient ? À l’époque, tout était plus simple, face aux quolibets et autres persiflages, je prenais un air détaché, je regardais mon acolyte du haut de son bachelier en droit ou de son master spécialisé en polytechnique et je lui demandais d’une voix suave s’il voulait qu’on en parle. Généralement, ça les calmait…
En effet, en terme d’imaginaire, les représentations autour des psy sont aussi florissantes que les téléfilms de Noël les après-midi de novembre, à la télévision. Du coup, dans le quotidien, je suis souvent confronté à des tas de questions, comme si, être psy, c’est avant tout être au service de tout un chacun. Le bon conseil, l’analyse psychologique que l’on ne retrouve que dans les magazines chez le coiffeur, le bilan émotionnel, la confidence ou le plan de traitement de désensibilisation. Tout y passe. Le problème, c’est qu’à nouveau, dans le contexte professionnel, je m’y attèle avec zèle, mais quand vos proches vous sollicitent pour savoir si leur compagnon est un pervers narcissique ou si leur moutard biberonné à la psychologie positive n’est pas haut potentiel, c’est un poil plus ardu.
"Autant comme être humain parfois, je crains"
Et puis, vous vous en doutez, dans mon job, même si intellectuellement et émotionnellement, je peux comprendre beaucoup de choses et me montrer d’une humanité sans détour, lorsqu’il s’agit de ma vie privée, dans certains cas, je suis à l’empathie ce que Gilbert Montagné est au voyeurisme. Du coup, lorsqu’un·e ami·e sollicite mon oreille attentive face à ses difficultés, je me sens aussi démuni que le quidam, je m’emporte, je suis inadéquat, je n’écoute qu’à moitié tout en coupant l’autre, je ne communique pas ce que je ressens et je donne des conseils aussi justes qu’une chanteuse canadienne dont on aurait coupé le retour dans l’oreillette... Qu’on se le dise, autant comme psy, j’ai quelques outils dans mon sac, autant comme être humain, pour le dire en des termes plus fleuris, parfois, je crains.
Et puis, il faut dire que l’entourage attend de son psy qu’il soit à la ville comme au cabinet. Que l’on méta-communique, que l’on soit empathique, que l’on puisse ranger nos petites émotions dans un joli tiroir, que l’on soit posé, calme, que l’on prenne du recul, alors que dans certaines situations telles qu’un mauvais film, une remarque désobligeante d’un proche ou un usager de la route qui me coupe la priorité, je peux gueuler comme une poissonnière de Ménilmontant tout en maudissant l’autre sur cinq générations.
En conclusion, certes, on peut se dire en me voyant que j’aurais peut-être besoin de consulter. On m’a suffisamment testé lors de mes études pour être rassuré quant au fait que je ne sois pas fou et j’accepte volontiers que l’on me taxe d’insensible tant mes attitudes en dehors du cabinet ne rendent pas hommage au professionnel que je suis. Faut-il être un bon psy dans sa vie privée pour être un brillant professionnel ? Non, tout comme le juriste a déjà certainement souscrit à un contrat d’abonnement sans le lire, ou l’ingénieur déjà utilisé du papier collant pour réparer un meuble bancal, il y a des psy qui, parfois, ne savent pas être disponibles pour l’autre. Par contre, si une fois passé la porte du cabinet, rien ne change, par pitié, fuyez ! Vous savez bien, ces gens-là sont complètement fous !
T. Persons
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