Chronique d’un psy : « Je suis hypersensible »
Alors que les ouvrages ciblant de vagues concepts psychologiques foisonnent dans les librairies, T. Persons se questionne : comment intégrer au mieux dans nos pratiques ces ouvrages de vulgarisation, tout en gardant pour boussole la littérature scientifique ?
S’il y a un métier où la formation continue est indispensable, c’est bien celui de psychologue clinicien. Se tenir à jour, se documenter, être au clair avec la littérature scientifique actuelle fait partie de notre devoir professionnel. Et je le fais avec plaisir, vraiment. Je suis curieux, j’aime me former. Le problème — et je ne sais pas si vous l’avez remarqué — est que, souvent, ce n’est pas le psy qui est mû par la formation, mais bien le sentiment d’être incompétent devant son patient qui nous pousse à développer des outils. Bref, je me suis demandé si, d’une certaine manière, ce n’était pas notre patientèle qui orientait nos choix de formation, plus que notre propre curiosité.
Comment suis-je arrivé à ce constat ? En voyant empilés sur ma table de nuit trois bouquins sur l’hypersensibilité que plusieurs de mes patients m’avaient conseillés. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que je passe pour un con, pour un snob, si on m’en parle, si ça aide les gens, il faut au moins que je lise les dix premières pages. Il faut dire, ces dernières années, j’ai de plus en plus de demandes de type « Aidez-moi, je suis (au choix) : HP, HPI ou HPE ++ Ultra ». En effet, de plus en plus de personnes arrivent en s’autodiagnostiquant des profils de personnalité qui n’existent pas et moi, même si j’essaie tant bien que mal de me dépatouiller avec la littérature scientifique et d’expliquer les choses, dans de nombreux cas, rien n’y fait : « S’il est indiqué dans le bouquin que je suis hypersensible, alors, forcément je suis hypersensible ».
"Certains auteurs surfent sur la vague de la malhonnêteté intellectuelle
Ne me faites pas non plus dire ce que je n’ai pas dit, certes, il y a des tas d’ouvrages de vulgarisation qui œuvrent à informer de manière très adéquate un lecteur averti. Par contre, il faut également mentionner ces bouquins qui viennent en librairie vous racoler, tel un démarcheur du Secours Chrétien à la sortie du supermarché, avec leur belle couverture toute pimpante, leur slogan qui vend du rêve, de la poussière de fée, des potions magiques et leur contenu aussi vague qu’un article douteux dont on ne peut s’empêcher de cliquer sur le lien quand on erre sur les réseaux sociaux. Bref, quand mes patients me demandent de l’aide parce qu’ils se sont diagnostiqués à haut potentiel émotionnel, hypersensible et qu’ils se sont toujours sentis différents et en marge de la société, du haut de ma science, je me sens un chouïa débordé.
M’arrive-t-il donc de lire des ouvrages de vulgarisation, juste pour savoir ce que l’on vulgarise ? Oui. Suis-je convaincu ? Non. Certains auteurs surfent sur la vague de la malhonnêteté intellectuelle avec autant d’aisance qu’un prestidigitateur qui fait disparaitre une pièce derrière votre oreille. Il n’y a rien à faire, dès que je lis un livre de la sorte, je me retrouve à me croire HP, hypersensible, voire intolérant au lactose. Il faut dire, je suis du genre à me dire, lorsque je lis l’horoscope, que c’est dingue comme le texte pourrait coller à ma réalité de la veille…
En conclusion, je ne suis pas hypersensible, je suis drogué aux séries Netflix, au XXIe siècle où la vie est intense, où elle va trop vite et où tout est disponible en abondance. Lorsqu’un patient arrive au même constat, on se rejoint, et on arrive à construire un heureux lien thérapeutique et s’il souhaite vraiment aller plus loin en se faisant diagnostiquer, je le renvoie vers certains auteurs à succès ou vers l’horoscope, au choix.
T. Persons
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