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Chronique d’un psy : "Quand le patient ment"

15/03/24
Chronique d'un psy :

On dit souvent que l’alliance thérapeutique est le socle de la thérapie chez le psychologue. T. Persons s’interroge  : qu’en est-il de cette alliance lorsque l’on sait pertinemment que le patient nous ment  ?

Cette semaine, alors que j’enchainais mon quatrième patient de l’après-midi, j’ai noté un changement dans mon humeur. Certes, tout comme certains juges dont la sentence diffère en fonction des moments de la journée, on pourrait penser que le psy est changeant, et qu’au fur et à mesure que le temps passe, il est fort probable que l’on perd légèrement en empathie ou en patience. Bref, vous l’aurez compris, j’ai tendance à mettre les patients qui me cassent les pieds en début de matinée. Malgré tout, le patient de seize heures ne m’était pas antipathique non plus. Et pourtant, quelque chose avait changé.

De manière plus introspective, j’ai pris le temps d’y réfléchir. Quand on y pense, c’est tellement fragile une relation, il y a tant de variables qui peuvent venir la modifier. Dans ce cas précis, on est dans un rapport asymétrique, thérapeutique, où le lien se construit, mais ne devrait pas se détruire facilement. Pourtant, j’avais autant envie de recevoir mon patient que de récurer les urinoirs d’une taverne après un match de football. Le pire, c’est que c’est arrivé inopinément. Je ne l’ai pas vu venir, il a suffi d’un épisode, et c’est comme si tout était cassé.

"Il pourrait au moins me faire confiance !"

En effet, lors de la dernière séance, j’ai compris que mon patient n’était pas honnête. Vous me direz que l’on est tous un peu malhonnête. On arrange souvent la réalité, on la dissimule ou la manipule pour éviter de passer pour une horrible personne, et je n’ai aucun mal avec cela. Mais quand il s’agit d’un mensonge structurel, qui doit certainement lui coûter, et qu’il n’ose pas le lever dans la séance, ça me questionne. Soit il est tellement embourbé dans sa vision de la réalité qu’il lui est impossible de lever le voile sur la vérité. Ça arrive. A priori, ce n’était pas le cas. Soit le patient ne vous fait pas suffisamment confiance pour vous expliquer clairement la situation.

Bref, j’étais là, à en vouloir à mon patient, me disant qu’il pourrait au moins me faire confiance, le salaud. Tout vexé que j’étais, j’avais du mal à me dire que peut-être que s’il n’arrive pas à parler sans mensonge, c’est que le cadre ne s’y prêtait pas. Finalement, c’était peut-être bien de ma faute  ? Après tout, suis-je le seul garant de ce cadre  ? Qu’avais-je pu bien foirer  ? Et puis, il y avait une difficulté. Qu’il me mente, c’était une chose. Mais que je sache qu’il me mente, c’était différent. Je me demandais, finalement, que faire  ? Lui dire que je savais qu’il fabulait  ? Lui indiquer comment je le savais  ? Et puis, quoi  ? Je le traite de gros menteur et on continue comme si de rien n’était  ?

En conclusion, être psychologue, c’est composer avec des patients qui, de temps à autres, nous mentent. Ce n’est jamais idéal, et même si l’on fantasme, en qualité de psychologue, une sorte de relation thérapeutique où le patient peut venir déposer tout ce qu’il souhaite, il est fort probable que la plupart nous mentent effrontément. L’avantage, c’est que souvent, on ne le sait pas. Le jour où l’on découvre la vérité, on peut soit la taire, soit, si cela s’y prête, aller la confronter en séance, ou ne rien faire et décider que dorénavant, le patient devra migrer vers une plage horaire matinale.

T. Persons

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