- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -
Une fois passé les trente ans, en tant que psy, on peut être rassuré sur un point : si l’on a jamais fait l’expérience d’une hallucination, il y a de fortes chances que le spectre de la schizophrénie s’éloigne. C’était, a priori, mon cas, en dehors de l’usage rituel de produits prohibés à l’adolescence, je n’avais jamais vu, ni entendu quoi que ce soit qui puisse me faire douter de ma santé mentale. En tout cas, pas sur un mode psychotique. Dès lors, en ouvrant la porte d’entrée de mon appartement, la vision du Docteur Trobard – une jatte de café à la main, le sourire timide, la mine un peu pâle – me fit un effet particulier. Voir des gens morts… En dehors des films de N. Night Shyamalan, mes connaissances sur les usages de courtoisie envers les défunts qui sonnent à la porte étaient assez minces. Étais-je en train d’halluciner ? Mon pneumologue préféré était-il encore en vie ? Était-ce un rêve ? J’aurais voulu vous dire que lorsque l’on expérimente ce genre de situation, on reste pragmatique, mais pour moi, c’était loin d’être le cas. Ma première réaction fut de claquer la porte, une première entorse à la bienséance, si l’on puit dire. J’ai attendu quelques secondes, pour l’ouvrir à nouveau : il n’était plus là.
Mon deuxième réflexe fut de regarder mon smartphone. L’heure et la date. J’étais bel et bien connecté à la réalité. Le docteur Trobard était décédé et il n’y avait personne de l’autre côté du couloir. C’était un rêve. Un cauchemar plutôt. Et il fallait se réveiller le plus rapidement possible, d’où ma réaction humaine, mais stupide : me taper violemment la tête contre le mur du salon. Pourquoi se faire du mal pour sortir d’un mauvais rêve ? Peut-on avoir la conscience de rêver alors que l’on est dans un rêve ? Ce qui était certain, c’est que ma capacité à me poser des questions était bel et bien intacte et que mes cours de neuropsychologie étaient loin derrière moi.
L’ignorer… Faire comme si tout était normal
Oh. Ça a dû faire mal, ça ?
Bien évidemment, le docteur Trobard était apparu dans mon canapé. Plus de place au doute, j’hallucinais et j’en étais conscient. À ce niveau, on a beau être psychologue, lorsque l’on commence à voir des araignées au plafond, la notion de conscience et de connexion à la réalité est assez floue. J’étais étonnamment calme pour un gars qui s’apprêtait à discuter avec un trépassé… Fallait-il rentrer dans mon propre délire en tapant la causette avec mon hallucination ?
Et pourquoi vous ne me parleriez pas ? Hallucination ou pas, je suis présent dans la pièce, non ?
C’était un pas de voir quelque chose qui n’existait pas, c’en était un autre de commencer à lui donner vie et d’interagir. Dans tous les cas, j’estimais être suffisamment atteint que pour ne pas commencer à parler seul, à haute voix. L’ignorer… Faire comme si tout était normal. Pourquoi une hallucination ? C’était la conséquence d’un dysfonctionnement ? Une pathologie ? Un effet secondaire ? Oui ! Les médocs ! On peut faire des hallucinations sous benzo, non ?
J’ai beau être médecin, j’ai malheureusement la même connaissance sommaire que vous de leurs effets secondaires… Si vous aviez été plus assidu en cours de psychiatrie de l’adulte…
Le sommeil ! La privation de sommeil, ça crée des états de confusion et des hallucinations. Et de fait, cela faisait bien 24 heures que je n’avais que partiellement dormi. La solution était là : une sieste.
- Ou alors, il reste la décompensation psychique, déclama le docteur Trobard.
Je suis trop vieux pour développer une schizophrénie, lui répondis-je.
Non, ne pas penser à ça. Puis, surtout, ne pas lui répondre. Rester dans la réalité. Il n’y a pas de médecin mort dans mon canapé, c’est uniquement le fruit de mon imagination. Il n’y avait qu’une solution, dormir. J’ai donc pris un ultime cachet, j’ai dit au revoir au Docteur Trobard, parce qu’après tout, fantasmagorique ou non, c’était quelqu’un qui méritait qu’on le salue et j’ai sombré, dans un sommeil lourd. Au réveil, j’étais pâteux, encore fatigué, mais allégé de quelconque apparition spectrale dans ma chambre. Je me suis levé, j’ai mis la machine à café en route et là, sans prévenir, faisant augmenter frénétiquement mon rythme cardiaque, la sonnette de l’entrée retentit.
T. Persons
T. Persons
[La première saison]
Épisode I : la nouvelle demande
Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
Épisode III : de l’art de la supervision
Épisode IV : un heureux hasard
Épisode V : le nouveau venu
Épisode VI : une coïncidence douteuse…
Épisode VII : une question de choix
Épisode VIII : le poids des secrets
Épisode IX : la ligne rouge
Épisode X : autour d’un verre
Épisode XI : savoir dire non (partie I)
Épisode XII : savoir dire non (partie II)
Épisode XIII : un métier dangereux
Épisode XIV : les idées noires...
Épisode XV : l’effet papillon
Épisode XVI : un état de choc
Épisode XVII : une rencontre inopinée
Épisode XVIII : démêler le vrai du faux
Épisode XIX : un retour à la réalité
Épisode XX : la disparition
Épisode XXI : l’appel à l’aide
Épisode XXII : la déposition
Épisode XXIII : et soudain, la lumière…
Épisode XXIV : l’amour fou
[La deuxième saison]
Épisode I : en thérapie...
Épisode II : l’art de coller des étiquettes
Épisode III : au chômage...
Épisode IV : prêt à l’emploi...
Épisode V : à l’hôpital...
Épisode VI : le premier jour…
Épisode VII : faire son trou
Épisode VIII : la meute
Épisode IX : les retrouvailles
Épisode X : un nuage noir, au loin
Épisode XI : confiné
Épisode XII : La pénurie
Épisode XIII : voir un soignant pleurer
Épisode XIV : Connectés
Épisode XV : tout est sous contrôle
Épisode XVI : la marche des zombies
Épisode XVIII : les mots bleus
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