Chronique d’un psy : "Ces patients que l’on aimerait ne plus revoir"
Cette semaine, T. Persons nous parle d’un propos qui dérange, une sorte de sujet tabou : un psychologue clinicien, parfois, a du mal avec certains patients, au point de souhaiter fortement qu’il puisse s’en aller vers d’autres salles d’attente. Une envie pressante de remballer votre patient ? T. Persons tente de vous donner quelques pistes.
Qu’on se le dise clairement, j’aime mes patientes et mes patients. En général. Être psy, souvent, c’est assez sympathique, mais il y a des fois où certains suivis sont un peu comme l’écoute forcée d’un album d’Hélène Ségara : si on pouvait passer quelques chansons et arriver enfin à la fin, ce serait un soulagement.
Entre le dépressif qui met tout en échec, le bipolaire en phase maniaque qui vous refile une angoisse à faire pomper le sang de votre cœur vers le cerveau comme un moteur de V8 américain siffle du diesel ou encore l’adolescent qui vient vous voir parce que papa et maman sont inquiets mais qui ne pipe pas un mot de toute la séance, en effet, il y a des patientes ou des patients que j’ai du mal à blairer.
Bien évidemment, je reste professionnel, j’essaye de comprendre ce que l’autre vient chercher dans mon cabinet. Si j’ai l’impression de ne pas être la bonne personne, je n’hésite jamais à le dire – ou à renvoyer la patate chaude à une consœur ou un confrère – j’essaye d’être pertinent, le plus possible.
On pourrait peut-être perdre leur trace durant les vacances
Cependant, si malgré mes interventions, mes propositions, la personne veut malgré tout continuer avec moi, je vous l’accorde, ça me met dans l’embarras. On en a tous, des patientes et des patients qui viennent chez nous mais qu’on préfèrerait qu’ils s’abstiennent. On attend avec impatience ce rendez-vous manqué, pour leur envoyer un sms en espérant qu’ils ne répondront jamais. Bien évidemment, ils répondent toujours.
On se dit qu’on pourrait peut-être perdre leur trace durant les vacances, comme les horribles gens qui abandonnent leur chien sur le bord de la route. Ils reviennent au pas, à la porte du cabinet, bien évidemment. Ils s’accrochent, bien évidemment.
De mon côté, je me suis souvent demandé si ces patients se rendent compte que j’ai du mal à les encadrer. Je me dis qu’ils doivent piger qu’ils suscitent en moi une frustration. Ils doivent bien constater que, des fois, je suis un peu ailleurs. Que, parfois, je suis un peu sec ou que j’ai tendance à raccourcir l’entretien de cinq minutes parce que vraiment, trop c’est trop. Soit, ils ne le voient pas. Soit, ils ont tellement l’habitude qu’on les remballe que ça ne les touche même plus. Du coup, je me sens coupable et j’en fais des caisses la séance d’après. Cela ne dure jamais longtemps et bien souvent une à deux séances plus tard, ils m’énervent à nouveau.
Vous me direz, ce qui énerve l’un ne turlupine pas l’autre. Peut-être devrais-je être un poil plus dans l’introspection pour saisir ce qui m’indispose dans le comportement de mes patients ? Une supervision peut-être ? Certes, mais quand même, on ne m’enlèvera pas de la tête que certaines personnes sont mues par le désir profond de me casser les pieds.
En conclusion, il n’y a pas de guide. Peut-être de la sincérité et de la transparence. Il n’est jamais aisé de dire à l’autre que l’on se sent impuissant face à sa demande. Et s’il persiste : vous avez le droit de dire non ou de renvoyer vers le ou la collègue que, lui non plus, vous ne savez pas blairer…
T. Persons
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