Chronique d’un psy : "Une convention non conventionnelle"
Attendue autant que décriée par le secteur des soins de santé mentale, la nouvelle mouture de la convention des psychologues de première ligne se signe actuellement dans les réseaux concernés. L’occasion pour T. Persons de revenir sur certains éléments obscurs qui se trament sous nos yeux.
Oh oui ! On l’attendait ! Autant que le printemps, qu’un nouvel album de Billy Joel ou que la fin de carrière de Michel Sardou ! Elle est là, à nous faire miroiter quelque chose de noble, de beau : des soins psychologiques accessibles à toutes et à tous ! Tout le monde ? Vraiment ? Mais oui, pardi ! On vous le dit, à la radio, dans les communiqués de presse… Frankie says RELAX ! Il y en a, et il y en aura pour tout le monde ! Enfin tout le monde, on s’entend, jusqu’à épuisement de stock.
C’est marrant d’évoquer comme ça, d’une manière subtile, au détour d’un jeu de mot, l’épuisement. Qui donc harasse-t-on ? Je vous avoue, au début, j’ai loupé le train de la première ligne. Non conventionné. Et depuis, j’ai beau frapper à la porte, personne ne répond. Je ne corresponds pas, visiblement. Les troisièmes cycles, les multiples formations longues, les années d’expérience, ça ne compte pas. Pour vous dire, je suis même prêt à me déplacer et à faire mes consultations dans les toilettes d’une pharmacie. Que nenni, vous ne passerez pas la première ligne. Soit, on accepte amèrement. On aurait dû être pote avec le réseau, peut-être ? Non ! Pas de copinage, ici ? Peut-être pas assez malléable ? Corvéable ? Qui sait…
Du coup, moi je fais mon deuil, je continue mon bonhomme de chemin et puis je tombe sur d’autres pairs qui eux, ont gagné le fameux sésame ! Oh ! Bravo ! Combien d’heures ? Ouaw ! On est un peu jaloux, puis très vite, on sent que le collègue sent l’urine. Les cernes sont marquées, il sursaute au moindre bruit, tremble et a le cœur qui palpite. En bon clinicien, on note le stress aigu, le potentiel trauma et on se demande où notre ami a pu croiser la mort. Rien, nada. Ce n’est pas la Faucheuse. Pas celle-là en tout cas.
Jean-Charles – nom d’emprunt, évidemment, ne sait-on jamais, le gaillard a peur des représailles – m’annonce avoir peur de perdre des heures. Il me baragouine un truc incompréhensible où se mêlent des pourcentages de contingent, de fonction un ou deux ou trois. Le gars ne me parle plus de clinique, mais de méandres administratifs, de calculs pour arriver aux bons chiffres.
"Les bons chiffres"
Ceux que les réseaux veulent pour faire plaisir à Frankie. Jean-Charles a décidé de ne pas partir en vacances cette année, sinon il ne rentrera pas dans ses quotas. Autour de lui, des collègues sont mis à l’essai. Ils ont un an pour ne pas faire trop peu, ni trop – parce que sinon, on rembourse ?! Si tel n’est pas le cas, c’est la porte. Malaise. Et un peu moins de jalousie. Et la liberté thérapeutique ? Et le fait d’être indépendant ? Vous êtes libre de ne pas signer la convention ou de vous en aller. C’est donc ça la liberté ?
Le problème, voyez-vous, c’est que j’ai le cul entre deux chaises. J’ai bien envie de gagner ma vie décemment, puis la philosophie de la convention, j’adhère à fond. Si on voulait bien de moi, je serais ravi de rejoindre le bateau. Le problème, c’est que plus je remonte les dysfonctionnements des réseaux, moins j’ai de chance d’un jour les rejoindre. Non ? Ne s’agit-il pas là d’un fonctionnement un poil manipulateur ? Il faut correspondre au moule, faire de bons chiffres, pas faire de vagues, surtout ne pas critiquer, faire de l’outreaching et des groupes, et des « autres missions ». Il faut aussi ne pas se plaindre, ne pas dire ce que l’on pense, sinon, c’est le coup de pression et la menace des heures en moins.
En conclusion, amies et amis conventionné·e·s, je vous plains. Finalement, cette convention, elle est à l’image de l’humanité. L’homme est capable de faire des belles choses, d’innover, de proposer du beau, du pur et puis, il y a toujours un moment où l’appât du gain ou du pouvoir vient tout gangrener…
T. Persons
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