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Chronique d’un psy : « Savoir se vendre »

09/03/23
Chronique d'un psy : « Savoir se vendre »

La question de la publicité dans les professions de soins de santé est assez réglementée et pourtant, on peut voir de plus en plus de psychologues se vendre avec plus ou moins de retenue sur les réseaux sociaux. Légal ? Moral ? Déontologique ? T. Persons nous livre son impression.

J’ai vu naître les réseaux sociaux. Je les ai regardés grandir, être utiles, divertissants. Puis j’ai senti la puissance de leurs outils, leur capacité à détruire du lien social et à vendre tout et n’importe quoi. J’ai participé à leur développement en tant qu’utilisateur, puis en tant que consommateur critique, en tant qu’humain et en tant que psychologue. Il est évident qu’à l’heure actuelle, ils sont omniprésents, comme un air de Stromae en fond sonore d’un supermarché. Ils font partie de notre vie et on se surprend à les utiliser malgré nous, à ce qu’ils viennent effracter notre quotidien, à devoir s’y s’assujettir, comme une mélodie dans le fond de notre crâne d’une chanson de… Enfin, soit, vous avez compris.

J’ai l’impression d’être assez ouvert sur le monde et je me rends bien compte que les soins de santé ne peuvent pas passer à côté de la réalité des gens comme le fait l’école qui est restée coincée dans les années soixante. Et pourtant, je me pose la question : est-ce la place du psy d’être sur les réseaux sociaux ? Quelle place d’ailleurs ? De la psychoéducation ? De la vulgarisation ? Certes, il y a un champ pour nous, et certains professionnels vont pouvoir y jongler et faire sens dans leur pratique. Il s’agit certainement d’une manière de pouvoir aider l’autre, d’agir, de faire une vraie différence. J’ai vu des initiatives naître qui sont vraiment bien fichues, qui vont permettre de remettre du lien, là où il n’y en avait plus. Bref, les réseaux sociaux pour le travail psy, si c’est bien pensé, ça peut être novateur, thérapeutique. Magnifique, me direz-vous, mais de quoi il se plaint alors T. Persons ?

"On vend un produit : un acte thérapeutique"

Il y a toujours un revers à une médaille, et dans le cas présent, le revers est aussi subtil que le strabisme de Dalida quand elle essaye de suivre dans un miroir le regard de Jean-Paul Sartre. En effet, c’est déjà pesant de me retrouver sur Facebook sans avoir réellement envie d’y être, sans savoir pourquoi, à faire défiler un fil d’actualité qui ne contient que des publicités, mais quand je constate qu’on y consacre des publicités pour des psychologues, ça me rend tout chose. Où est le mal ? C’est ciblé, je suis psychologue moi-même, l’algorithme a donc décrété que j’avais besoin d’en voir un. Soit. On flirte avec la légalité quand on propose du contenu sponsorisé pour faire la publicité de son cabinet. Et puis surtout, avec la morale. Les soins de santé, c’est censé aller au-delà de la publicité, mais après tout, ne voit-on pas pulluler des pubs pour des médicaments ?

La morale, écrivais-je, c’est ce que l’on met de côté quand on décide de se vendre en tant que psychologue. On ne se fait pas connaître, on soustrait l’essence même de notre métier pour se rendre visible. On vend un produit : un acte thérapeutique. Venez chez moi ! Participez à mon webinaire, je vous promets un énorme cadeau ! Un cadeau ? En sommes-nous arrivés là ? Devoir promettre une consultation gratuite ? Un tote-bag ? Un paquet de mouchoirs avec notre numéro de téléphone et notre site internet ? C’est immoral et pourtant, c’est là, en toute impunité. Pour tout vous dire, j’en ai discuté avec d’autres professionnels et on s’est posé la question : que faire ? Envoyer un petit mot soigné aux psychologues concerné·e·s ? Une plainte à la Compsy ? S’inscrire au webinaire gratuit pour enfin découvrir la nature de cet incommensurable cadeau promis ?

En conclusion, il faut de tout pour faire un monde, et en tant que professionnel, je me sens démuni. D’abord parce que je m’inscris en faux dans ce type de démarche et que je refuse de voir ma profession devenir un lieu commun pour la publicité. Ensuite, parce qu’il y a comme un goût amer qui reste dans le coin de la gorge. Il n’y aura pas de sanction pour ces personnes, ou peu, et elle ne sera jamais proportionnelle à l’acte commis. Loin de moi l’idée de brûler mes collègues sur un bûcher, mais sommes-nous encore psy quand on vend un acte à coup de promotion ? C’est le consommateur qui tranchera, en espérant qu’il soit moins conciliant avec eux qu’il ne l’est avec Stromae…

T. Persons

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